Le but de notre carrière…
… c’est la mort, écrit Montaigne, dans ses Essais. André Comte-Sponville le cite dans une interview livrée le 17 avril dernier au journal Le Temps.
Interrogé sur son appréciation de la situation de crise sanitaire liée au Covid-19, Comte-Sponville rappelle que le taux individuel de mortalité, malgré une croissance considérable de l’espérance de vie, reste de 100%! Il insiste sur le fait qu’aujourd’hui, pour sauver des personnes âgées, on sacrifie les jeunes générations: «Ce qui m’inquiète, ce n’est pas ma santé [il a 68 ans], c’est le sort des jeunes. Avec la récession économique qui découle du confinement, ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut, que ce soit sous forme de chômage ou d’endettement. Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. Cela me donne envie de pleurer.»
Accusé d’accepter de condamner des vies pour sauver l’économie, il se défend: «Augmenter les dépenses de santé? Très bien! Mais comment, si l’économie s’effondre? Croire que l’argent coulera à flot est une illusion. Ce sont nos enfants qui paieront la dette, pour une maladie dont il faut rappeler que l’âge moyen des décès qu’elle entraîne est de 81 ans. Traditionnellement, les parents se sacrifiaient pour leurs enfants. Nous sommes en train de faire l’inverse. Moralement, je ne trouve pas ça satisfaisant!»
Interrogé sur la prise de pouvoir des scientifiques, il relève qu’on délègue à la médecine la gestion non seulement de nos maladies, ce qui est normal, mais de nos vies et de nos sociétés: «Dieu est mort, vive l’assurance-maladie! Pendant ce temps, les politiciens évitent les sujets qui fâchent, donc ne font plus de politique, et ne s’occupent plus que de la santé ou de la sécurité de leurs concitoyens.»
Comte-Sponville relativise ce qui nous arrive: «La finitude, l’échec et les obstacles font partie de la condition humaine. Tant que nous n’aurons pas accepté la mort, nous serons affolés à chaque épidémie. Et pourquoi tant de compassion geignarde autour du Covid-19, et pas pour la guerre en Syrie, la tragédie des migrants ou les neuf millions d’humains (dont trois millions d’enfants) qui meurent de malnutrition? C’est moralement et psychologiquement insupportable.»
L’interviewé s’excuse de ne pas être «sanitairement correct», rappelle qu’on entre en EMS en principe pour y finir ses jours, et termine son interview par une recommandation: «Je ne supporte plus ce flot de bons sentiments, cette effusion compassionnelle des médias, ces médailles de l’héroïsme décernées aux uns ou aux autres. L’être humain est partagé entre égoïsme et altruisme, et c’est normal. Ne comptons pas sur les bons sentiments pour tenir lieu de politique.»
André Comte-Sponville est français et vit un confinement plus strict que le nôtre. Mais ses propos renvoient à la réalité et sont revigorants au milieu des «bisounourseries» qui nous empêchent d’envisager la suite dans toute sa complexité.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un bouquet de souverainetés – Editorial, Olivier Delacrétaz
- La presse qui ne mourra pas – Félicien Monnier
- Énigme villageoise – C.
- Anthologies – Daniel Laufer
- Lu dans la presse – Revue de presse, Rédaction
- Le droit effectif d’être entendu – Jean-François Cavin
- Droit naturel et positivisme juridique – Denis Ramelet
- La transsexualité imposée aux plus jeunes – Jean-François Pasche
- Référendum et traités internationaux – Antoine Rochat
- La «grippe espagnole» et l’œuf de Colomb – Jean-Philippe Chenaux
- Occident express 56 – David Laufer
- Les mouroirs flottants – Bertil Galland
- Occident express 57 – David Laufer
- Proverbiale efficacité – Lionel Hort
- L’affaire des drapeaux tibétains – Félicien Monnier
- Crise sanitaire: l’Union européenne s’en lave-t-elle les mains? – Lionel Hort
- Lu dans la presse – Rédaction
- La petite Antigone et le philosophe – Jacques Perrin
- Oui… non… ne sait pas… – Olivier Delacrétaz
- L’animal est la mesure de toute chose – Le Coin du Ronchon