Crise sanitaire: l’Union européenne s’en lave-t-elle les mains?
Après les vagues populistes, les tensions migratoires et le Brexit, le sort semble décidément s’acharner contre l’Union européenne (UE), violemment critiquée pour son manque de leadership dans le traitement de la crise du Covid-19.
Grand bloc continental, l’UE n’est certes ni les États-Unis ni la Chine. Elle ne dispose ainsi pas de compétences majeures en matière sanitaire et évidemment pas d’équivalent à notre loi fédérale sur les épidémies. Par rapport à la notion de solidarité, les premiers articles du Traité sur l’Union européenne version consolidée1 (TUE) évoquent la solidarité une dizaine de fois, mais seulement à titre programmatique. Quant aux articles 23 et suivants du TUE, ceux-ci ne s’appliquent qu’à la politique extérieure de l’Union. Mais l’absence de compétence juridique n’excuse pas l’incompétence pratique.
A ce niveau, l’UE aurait pu jouer un rôle vital de coordination et de communication. Elle n’a pas su tenir ce rôle; en témoignent entre autres les excuses publiques, véritable aveu d’impuissance, de la nouvelle présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, faites à l’Italie début avril.
Mais c’est avant tout du point de vue de ses propres principes que l’UE a échoué. Le libre-échange et la libre circulation ont été abandonnés avec une facilité déconcertante par les États membres, bien que considérés par ceux-ci, il y a quelques mois encore, comme non négociables, notamment du point de vue migratoire. En tant que piliers de la mondialisation marchande, ces principes sont désormais considérés comme responsables de la crise par une grande partie des populations européennes.
Quant à l’Europe sociale et solidaire, on a vu ce que cela donnait: une grande débandade sur le mode du «chacun pour soi». Après la fermeture des frontières, c’est la réquisition par les États membres de matières premières ou de matériel médical fabriqué ou transitant sur leur territoire qui a fini d’achever la croyance en une Europe véritablement communautaire et supranationale. Chaque État s’est débrouillé comme il a pu, les Allemands et les Scandinaves s’en sortant comme d’habitude mieux que les autres.
Il y a des contre-exemples, comme l’entraide hospitalière dans les régions frontalières, mais celle-ci a aussi impliqué la Suisse et n’a donc pas grand-chose à voir avec le strict cadre juridique européen. De même, les institutions européennes ont entamé des démarches facilitant l’emprunt bancaire dès la fin mars et les ministres des finances des États membres ont, quelques semaines plus tard, réussi à mettre en place un «plan de secours» économique de 540 milliards d’euros en trois volets. Or, un quatrième volet du plan initial a finalement été refusé par les pays du nord de l’Europe. Il s’agissait des corona-bonds, des obligations bancaires dont l’émission aurait représenté une mutualisation des dettes pour les États membres. Selon les opposants au quatrième volet, cette mise en commun des dettes allait à l’encontre des traités européens et menait à la centralisation budgétaire2.
Ce qu’on retiendra surtout de la gestion de crise à l’européenne, c’est les appels à la rigueur budgétaire que d’aucuns accusent d’avoir largement contribué au délabrement des hôpitaux publics des pays du Sud (catégorie à laquelle la France appartient désormais en bonne partie, économiquement si ce n’est géographiquement). On retiendra aussi la réglementation imposant aux avions de ligne de continuer à voler même sans passagers pour ne pas perdre leurs créneaux horaires, ou encore l’excellent tutoriel de lavage de mains de la présidente de la Commission européenne, reconvertie en «influenceuse» cosmétique pour l’occasion.
Certains ne manqueront pas de proposer toujours plus de centralisation comme remède aux maux de l’UE. D’autres redoubleront d’effort pour l’abattre, notamment sous l’angle de la critique de ce Deutsche Mark à peine camouflé qu’est l’euro, monnaie de plus en plus inadaptée aux réalités économiques disparates du continent. Il est bien possible qu’après la crise financière de 2008, la crise migratoire de 2015, le départ définitif des Anglais et la pandémie, il ne reste au final de l’Union européenne qu’un vaste champ de ruines aux mains des Allemands.
Lionel Hort
1 Consultable en ligne à cette adresse: https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF
2 Cf. la tribune économique du 31 mars 2020 de Liêm Hoang-Ngoc sur le site de Marianne: https://www.marianne.net/debattons/tribunes/coronabonds-existe-t-il-encore-une-solidarite-europeenne
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un bouquet de souverainetés – Editorial, Olivier Delacrétaz
- La presse qui ne mourra pas – Félicien Monnier
- Énigme villageoise – C.
- Anthologies – Daniel Laufer
- Le but de notre carrière… – Jean-Michel Henny
- Lu dans la presse – Revue de presse, Rédaction
- Le droit effectif d’être entendu – Jean-François Cavin
- Droit naturel et positivisme juridique – Denis Ramelet
- La transsexualité imposée aux plus jeunes – Jean-François Pasche
- Référendum et traités internationaux – Antoine Rochat
- La «grippe espagnole» et l’œuf de Colomb – Jean-Philippe Chenaux
- Occident express 56 – David Laufer
- Les mouroirs flottants – Bertil Galland
- Occident express 57 – David Laufer
- Proverbiale efficacité – Lionel Hort
- L’affaire des drapeaux tibétains – Félicien Monnier
- Lu dans la presse – Rédaction
- La petite Antigone et le philosophe – Jacques Perrin
- Oui… non… ne sait pas… – Olivier Delacrétaz
- L’animal est la mesure de toute chose – Le Coin du Ronchon