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La démagogie au douzième

Olivier Klunge
La Nation n° 1979 1er novembre 2013

Depuis quelques semaines, les partisans de l’initiative 1:12, qui vise à plafonner le salaire le plus élevé d’une entreprise à douze fois le plus bas, servent, sans avoir l’air d’y toucher, un nouvel argument largement repris par la presse: l’initiative serait facilement contournable. On cite l’externalisation des emplois mal rémunérés, les heures supplémentaires, le paiement d’une partie du salaire des cadres comme travail à l’étranger…

Cette affirmation est pernicieuse. Elle incite le citoyen à penser qu’il peut marquer, en glissant un oui dans l’urne, son mécontentement contre les rémunérations de patrons de grandes entreprises qu’il perçoit comme excessives, sans réelle conséquence puisque ces derniers sauront aisément contourner cette cautèle.

C’est faux. D’abord, même s’il faut relativiser la portée d’un «signal fort» donné par un vote populaire, il s’agirait d’un message adressé par le corps électoral aux entrepreneurs, patrons et dirigeants de grandes entreprises internationales, indiquant que le peuple suisse entend s’immiscer dans la politique salariale des entreprises et contrôler la manière dont elles sont gérées. La Suisse se distingue justement pour l’heure en Europe par une politique favorable à la libre entreprise et exempte de ressentiment à l’égard de la réussite individuelle. Toute incertitude sur ce point apportera des effets néfastes sur l’installation de nouvelles entreprises étrangères en Suisse, déjà refroidies par la virulence des attaques contre le système fiscal et économique de notre pays et la faiblesse de la défense opposée par nos autorités.

Certes, il n’y aura pas de catastrophe en cas d’acceptation de l’initiative 1:12. Les patrons suisses ne vont pas tous quitter le pays. Le parlement veillera à ménager des échappatoires aux entreprises et de fins juristes sauront les exploiter. Pourtant, le mal ne sera pas évité. L’ordre juridique helvétique se caractérise par son pragmatisme et la faible influence des idéologies sur le droit privé, en particulier. Aujourd’hui, un employeur suisse peut licencier un employé médiocre en respectant certaines règles simples qu’il peut trouver lui-même dans la loi ou un ouvrage de vulgarisation. Chez nos voisins, il doit engager un avocat afin de monter une subtile argumentation juridique permettant de justifier sa décision économique, sans même avoir la certitude de ne pas voir un juge ou un fonctionnaire en contester le bienfondé sous d’obscures motifs tirés d’arrêtés circonstanciels.

Voulons-nous que nos entreprises doivent, pour servir la rémunération convenue avec certains de leur cadres, imaginer, avec l’aide d’experts, diverses constructions juridiques sans justification économique si ce n’est celle d’éluder une loi qui leur paraîtra injuste puisque fondée uniquement sur un argument marketing (les initiants admettent eux-mêmes que la limite 1:12 est arbitraire et pourrait tout aussi bien se situer à 1/10 ou 1/20)? Cela ne pourra que renforcer dans la population le sentiment que les «puissants» sont au-dessus des lois et motivera de nouvelles initiatives visant à brider ces «abus» du grand capital…

Il ne faut d’ailleurs pas douter que ceux-là même qui tentent d’endormir le citoyen en dissertant sur les aménagements possibles pour adoucir le principe soumis au peuple plaideront pour un respect strict de la volonté populaire et dénonceront les politiciens et lobbys félons. Les exemples du passé sont innombrables, pensons tout récemment aux initiatives Weber et Minder.

Nous espérons que le peuple suisse saura considérer l’initiative pour ce qu’elle est, à savoir l’expression d’un principe faux et dangereux, et votera NON à l’initiative 1:12.

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