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Au dos de mon bulletin de vote

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1983 27 décembre 2013

Nous devons parfois nous prononcer sur des initiatives dont nous approuvons le fond, mais dont le texte est imprécis, ambigu, facilement contournable par un législateur un peu retors, lourd de dommages collatéraux ou promis à l’échec.

On voudrait rédiger des compléments, des correctifs ou des contre-propositions au dos de son bulletin de vote. Mais le système simple et viril de la démocratie directe impose de répondre par OUI ou par NON, ce qui fait que l’électeur se trouve face à un choix à peu près impossible.

Faut-il voter OUI parce que le principe en cause est juste, même s’il est trahi par le texte? Faut-il voter OUI parce que l’intention des auteurs est pure, même si leur incompétence politique est manifeste? Faut-il voter NON à cause des imperfections techniques de la proposition, au risque de se faire reprocher son juridisme et son manque de grandeur? Faut-il passer par-dessus ces imperfections et voter OUI symboliquement, pour «donner un signal fort», comme on dit, sans se préoccuper des conséquences concrètes, peut-être même négatives, de son acceptation? Faut-il à l’inverse voter NON pour manifester son irritation et donner un «signal fort» en sens contraire à l’adresse de ceux qui lancent des initiatives sans savoir? Ou faut-il déclarer publiquement qu’on vote NON, pour montrer au monde qu’on peut être un opposant au projet sans mettre en cause le principe? Encore faut-il que la presse reprenne l’information. Voter OUI pour éviter d’être mis dans le même sac que des opposants qui nous déplaisent? Voter NON, au risque de voir s’éloigner des amis de toujours, qui ont juste perdu le sens de la mesure sur l’objet traité? Faut-il voter OUI, sachant que l’initiative va échouer et pour éviter qu’un échec trop spectaculaire ne porte atteinte au principe en cause?

OUI ou NON? Il faut refaire le chemin en long, en large et en travers, examiner les principes en jeu ainsi que la situation concrète, peser l’argumentation des uns et des autres, imaginer la suite dans les deux hypothèses… et conclure tant bien que mal. L’initiative populaire fédérale «Financer l’avortement est une affaire privée» nous en donne une nouvelle occasion.

Un texte clair, des exceptions qui le sont moins

Le texte tient dans un court alinéa 3 ajouté à l’article 117 de la Constitution fédérale: «Sous réserve de rares exceptions concernant la mère, l’interruption de grossesse et la réduction embryonnaire1 ne sont pas couvertes par l’assurance obligatoire.»

Quelles sont ces «rares exceptions concernant la mère»? Le Journal de l’initiative, distribué ces-jours-ci à tous les ménages, mentionne le viol et l’«urgence médicale». Rappelons qu’un article constitutionnel ne s’applique pas directement. Il y faut une loi. Comment le législateur interprétera- t-il la notion d’«urgence médicale»?

L’UDC suisse soutient l’initiative, tout comme le Parti évangélique suisse, des élus de l’UDF, du PLR et du PDC, ainsi que de simples citoyens.

D’emblée humain

Sur le fond, tout avortement est la suppression d’une vie humaine. Dès ses premières cellules, l’embryon est distinct du corps de sa mère, même s’il en dépend entièrement quant aux conditions extérieures de vie et de développement. Il suit son propre destin. Cette autonomie immédiate fait qu’il n’appartient à personne, ni à sa mère, ni au législateur, ni au théologien. On pourrait dire qu’il met à profit sa dépendance totale pour devenir ce qu’il est.

Certains objectent qu’il ne devient humain que lorsqu’il entretient des relations avec autrui, car l’être humain est par nature relationnel. Cet argument, simple émollient de l’intelligence, vise principalement à disculper les théologiens craintifs et désireux de se ranger à la pensée dominante. Il est contraire à la logique, qui exige qu’une relation entre deux êtres soit postérieure à leur existence – dans le meilleur des cas simultanée. La relation ne peut créer les êtres qu’elle relie.

On objecte aussi que l’embryon n’est qu’un humain en devenir. Soit, mais pour devenir, il faut quand même être, au moins un petit peu. Il faut un sujet existant qui devienne. Pour incomplet qu’il soit quant à son développement, l’embryon est d’ores et déjà composé d’un corps périssable et d’une âme ouverte à l’immortalité.

Son humanité ne connaît pas d’«exception», même «rare». Elle est un fait indépendant des conditions dans lesquelles il a été engendré, des «urgences médicales» et des inconvénients qu’il présente pour celle qui le porte et la famille qui l’accueille. Contre cette réalité, le vote le plus massivement démocratique ne peut rien.

La répression

Une des tâches de l’Etat étant de protéger la vie humaine, l’avortement est un chapitre du Code pénal. S’il est libre les douze premières semaines, il est punissable après. Enfin, c’est une façon de parler, car passé ce délai, il suffit d’un avis médical (un seul) faisant état de risques physiques ou psychiques pour qu’il soit autorisé.

Le critère des douze premières semaines, introduit en 2002 avec la «solution des délais», est un leurre. Il repose sur le fait qu’on peut durant cette période supprimer l’embryon «par voie haute». Après, il faut procéder «par voie basse». Ce critère n’est pas éthique ou philosophique. Il est médical. Ce n’est pas une barrière solide: depuis 2002, aucune mère n’a été condamnée en Suisse pour avoir avorté.

On constate une distance incommensurable entre la réalité de l’avortement et la perception qu’en a la société. Evidemment, l’embryon ne ressemble pas beaucoup à une personne. Il ne mesure que quelques centimètres. Il n’occupe aucune place dans la société. Il ne crie pas, ou s’il crie, on ne l’entend pas.

Pour se pénétrer de sa réalité humaine, il y faut une certaine dose d’imagination, ou alors une claire conscience de la continuité qui existe entre l’embryon, le fœtus et le nouveau- né, ou encore une éducation religieuse qui ne soit pas fondée uniquement sur le compassionnel à tout-va. Il faut que les autorités reconnaissent et proclament son humanité et la nécessité de le protéger. C’est aujourd’hui très loin d’être le cas, même dans les milieux de la justice, même dans beaucoup de milieux d’Eglise.

L’état des mœurs en matière d’avortement est extraordinairement bas. Or, le législateur ne peut guère édicter des normes plus rigoureuses que ne le sont les mœurs. Plus exactement, disons qu’il le peut, mais qu’elles seront mal appliquées, ou pas du tout.

Toutes les initiatives qui ont tenté de remonter le courant par la loi, de restreindre les possibilités d’avortement et de durcir la répression ont péché par présomption politique.

Equivoque

Revenons à notre exorde. L’initiative ne pose apparemment pas la question de fond, mais uniquement une question financière: qui paie quoi? Pourtant, l’argumentation de ses auteurs porte pour une bonne part sur la défense de la vie humaine et, du point de vue iconographique, sur le rappel – un peu mièvre – des beautés et des joies sans mélange de la maternité. Les opposants ne sont donc pas totalement malhonnêtes quand ils dénoncent une manière détournée de relancer le débat sur l’avortement et sa répression.

Nous ne croyons pas que l’initiative diminuera sensiblement le nombre des avortements et, par conséquent, les dépenses des caisses. Nous ne croyons par non plus qu’elle rétablira la conscience du caractère criminel de l’avortement. Elle renforce même, d’une certaine façon, l’idée que l’avortement est une affaire de sensibilité individuelle. Elle ne recréera pas des mœurs plus saines. Sa réussite sera tôt ou tard détournée par le biais des «rares exceptions». Son échec bétonnera un peu plus la position des avorteurs.

En un mot, si nous avions été consultés, nous aurions tout fait pour dissuader les auteurs de lancer leur initiative.

Mais nous n’en sommes plus là. Nous sommes devant un choix incertain, où l’affirmation d’un principe juste est contrebalancée par les conséquences vraisemblables d’une approche biaisée et d’un texte ambigu. Ce qui fait peut-être la différence c’est tout de même qu’il reste contraire à la justice de contraindre une personne convaincue que l’avortement est un crime d’y contribuer si peu que ce soit. Cela justifie, probablement, un OUI du bout des lèvres et sans illusion.

Notes:

1 Suppression d’une partie des embryons implantés lors d’une fécondation in vitro.

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