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L’avis du Conseil d’Etat

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 1986 7 février 2014

Pour la première fois, le Conseil d’Etat vaudois a pris position publiquement sur tous les objets d’une votation: il soutient les investissements pour l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire, il rejette l’initiative contre l’immigration massive et rejette aussi celle qui propose de retirer l’avortement des interventions médicales couvertes par l’assurance de base1.

Ces décisions ont été prises à l’unanimité, exigence qui préserve au collège son unité et son autorité.

Quand il n’y a pas d’unanimité, chaque conseiller d’Etat est libre de faire campagne de son côté. Dans ce cas, il n’engage pas le gouvernement, mais seulement lui-même, à titre de citoyen. C’est une distinction de papier: le conseiller d’Etat qui prend publiquement fait et cause engage forcément, peu ou prou, l’autorité gouvernementale qu’il partage avec ses six collègues.

Mais comme cette autorité collégiale est indivisible, il l’engage de biais, créant une équivoque qui la réduit d’autant. La discrétion serait préférable.

L’équivoque est encore pire quand ce sont plusieurs conseillers d’Etat, mais pas tous, qui se groupent pour faire passer une loi. C’est ainsi qu’ils étaient quatre ou cinq, serrés dans d’affreux T-shirts roses, blancs et noirs, à distribuer en gare de Lausanne des prospectus en faveur de la calamiteuse LEO (loi sur l’enseignement obligatoire), dont on commence à voir à quel point elle n’a résolu aucun des problèmes de l’Ecole vaudoise, à quel point en revanche elle a réussi à en créer de nouveaux.

L’unanimité du Conseil d’Etat est l’une des conditions pour prendre position dans une campagne. Ce n’est pas la seule. Il faut encore que l’objet soit réellement politique. Plus exactement, car tout touche de près ou de loin à la politique, il importe que l’objet mette en jeu, directement et évidemment, l’intérêt du Canton de Vaud ou, par solidarité fédéraliste, la souveraineté d’un ou de plusieurs cantons.

Les trois objets des votations du 9 février sont dégressivement exemplaires sur ce point. La création du FAIF, accélérant la modernisation de nos infrastructures ferroviaires, appelait l’engagement du Conseil d’Etat. Même si les opposants déplorent son soutien à un investissement qu’ils jugent excessif, ils ne peuvent contester que le Conseil d’Etat est dans son rôle en faisant connaître sa position.

Pour l’initiative contre l’immigration de masse, c’est moins évident. Certes, la portée économique de la décision du peuple et des cantons, nos relations avec les frontaliers et l’avenir incertain des bilatérales justifient dans une certaine mesure la prise de position vaudoise.

Mais l’aspect passionnel du vote donne fatalement un aspect idéologique, et donc diviseur, à la prise de position du Conseil d’Etat, lors même qu’elle se présente d’une façon équilibrée. Il aurait pu s’abstenir.

Enfin, le Conseil d’Etat considère l’avortement comme un droit fondamental et invoque la solidarité pour s’opposer à l’initiative. Sur le fond, l’avortement ne relève pas de la politique mais de la métaphysique et de la morale. De plus, le Conseil d’Etat n’est pas le responsable de la solidarité, sauf à professer une vision entièrement étatisée de la société. Il aurait dû s’abstenir. Ne traitant pas cette question, il aurait souligné le caractère spécifiquement politique de ses interventions.

Le gouvernement vaudois ne doit pas se contenter de réagir au hasard des votations, mais décider lui-même et en tout temps sur quels thèmes, lois, articles constitutionnels, débats aux Chambres, traités internationaux il estime de son devoir de se prononcer. Nous attendons en particulier des prises de position énergiques et même tonitruantes à chaque menace fédérale sur les souverainetés cantonales.

On en est loin. Le Conseil d’Etat néglige trop souvent la défense du fédéralisme, oubliant qu’en défendant sa souveraineté, il contribue aussi à préserver la Confédération.

Si M. Broulis s’est bien battu dans l’affaire du référendum des cantons contre le paquet fiscal (paquet refusé par le peuple le 16 mai 2004) et M. Maillard dans celle des primes payées en trop, il s’agissait d’un prolongement – heureux – des affaires de leur département. Mais le gouvernement vaudois a ignoré la portée dramatiquement centralisatrice de l’«espace éducatif suisse unifié» comme aussi celle de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire. Il n’a pas fini de s’en mordre les doigts, et nous avec.

Naguère encore, le Conseil d’Etat livrait tous les six mois un «Rapport du Conseil d’Etat sur les affaires fédérales» au Grand Conseil. Le texte en était parfois inutilement laborieux. Mais il nous valut aussi de magnifiques prises de position politiques. Ainsi, le rapport démolissant avec alacrité le projet de Constitution Furgler (1977) fut l’occasion pour notre gouvernement de s’affirmer tel. On décida de supprimer ces rapports sous prétexte d’économiser du temps et de l’argent.

La Constitution vaudoise de 2003 ayant renforcé la fonction présidentielle, il serait opportun d’examiner la création d’un rapport annuel – semestriel à l’ancienne serait excessif – du président du Conseil d’Etat vaudois sur les affaires fédérales, axé en particulier sur l’évolution de la souveraineté cantonale et sur les mesures et les contacts pris pour la défendre et la revigorer. Il serait présenté à la presse tous les 14 avril. On ne peut en pleine conscience exercer le pouvoir sur le peuple vaudois et ses communes sans défendre ce même pouvoir contre les empiètements de l’administration fédérale.

Notes:

1 Communiqué du 15 janvier 2014.

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