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La caricature ne date pas d’hier

Claire-Marie Schertz
La Nation n° 1986 7 février 2014

Le sujet du rire est aujourd’hui un des plus sensibles, et pour cause: dans des circonstances de controverse qui attisent les passions, il concerne chacun d’entre nous. L’auteur de cet article, de loin pas une spécialiste de la question, livrera simplement quelques réflexions, au détour d’une actualité muséographique, égarements que son lecteur voudra bien lui pardonner.

L’histoire de l’humour n’est pas à refaire ici, mais un épisode retient notre attention. Le XVIe siècle voit se diffuser tout un courant de caricatures religieuses au moment de la Réforme. Une exposition lui est consacrée, jusqu’au 16 février, au Musée international de la Réforme, à Genève: «Enfer ou paradis. Aux sources de la caricature, XVIe- XVIIIe siècles». Le voyage commence cependant bien avant le XVIe siècle, avec la naissance de la satire anticléricale au Moyen Age. Episodes grivois, mais aussi parodies animales de cérémonies liturgiques se dévoilent tant dans l’architecture, les textes (romans et fabliaux) que dans les enluminures des manuscrits. Le XVIe siècle, avec la réforme protestante, voit ensuite un tournant dans le développement de ces caricatures, qui prennent une autre dimension, instruments d’un conflit religieux.

En 1522, Luther publie sa traduction allemande du Nouveau Testament, dont on peut voir un exemplaire de la première édition au MiR. Cette traduction est illustrée par Lucas Cranach, déjà rompu à l’exercice de la caricature anticatholique dans le Passional Christi und Antichristi de Philip Melanchthon, imprimé l’année précédente (l’Antéchrist y est associé au pape). Dans le Nouveau Testament traduit par Luther, la prostituée de Babylone est coiffée de la tiare pontificale, assimilant Rome à Babylone. Ailleurs, les attaques se font aussi à l’encontre du culte des saints et de leurs représentations, assimilées à de l’idolâtrie, de l’attachement au pape, mais aussi du fondement des dogmes et bien sûr de la présence réelle dans l’eucharistie. La violence et l’obscénité des images peuvent surprendre. Scènes d’iconoclasme, tableau du sac des églises de Lyon, détournement de thèmes médiévaux de la sainte Cène, religieux en enfer, etc.

De l’autre côté, les catholiques usent du même procédé, mais de manière beaucoup moins fréquente, et peut-être avec moins d’imagination. Ici, on observe une gravure de Luther sous les traits d’une idole païenne, dont le titre est «statue hérétique», en réponse aux accusations d’idolâtrie faites à l’égard des catholiques. Là, on se moque des Huguenots, représentés sous les traits de guenons, jouant sur la paronymie des deux mots.

Par toutes ces images, qui se veulent à la fois drôles et méchantes, on se retrouve plongé au cœur du conflit entre catholiques et protestants, sous un angle de vue assez inattendu. Elles cristallisent les différends. L’humour est grinçant, utilisé comme une arme pour ridiculiser l’adversaire et donc justifier sa propre foi. Aujourd’hui, près de cinq siècles plus tard, les deux confessions vivent dans la tolérance. On peut se réjouir de voir le retable du maître autel de la cathédrale de Genève, peint par Konrad Witz en 1444 et dont les personnages ont été défigurés au moment de la Réforme, récemment restauré et actuellement présenté au Musée d’Art et d’Histoire de Genève dans une très belle exposition, jusqu’au 23 février 2014. Beau symbole de cette paix retrouvée. Le lecteur l’aura compris: un aller-retour dans le canton voisin en vaudra le détour!

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