Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Une mécanique inexorable

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2022 10 juillet 2015

Pour illustrer le référendum grec, un dessinateur de presse a représenté une piscine pleine de requins affamés et surmontée de deux plongeoirs identiques, l’un pour le oui, l’autre pour le non. C’est assez bien vu, sauf que le non exprimait au moins l’espoir des Grecs de recouvrer un peu d’autonomie politique.

L’officialité européenne pousse des cris. Dès avant le vote, M. Sarkozy, plus chef de bande que jamais, insultait publiquement M. Tsipras. Aujourd’hui, M. Jean-Claude Juncker dénonce une «trahison». D’autres, notamment MM. Moscovici et Woerth, l’accablent de conseils sentencieux.

A aucun moment, ces personnes ne se sont demandé si elles pouvaient avoir tort. Que les deux cent septante milliards d’euros prêtés à la Grèce aient principalement contribué à la mettre dans le pétrin actuel ne leur inspire pas le moindre doute sur leur diagnostic et leur potion. Pour eux, la Grèce ne peut s’en sortir qu’en se pliant à leurs exigences infaillibles: diminution des retraites, hausse de l’âge auquel on y aura droit, augmentation de la TVA, réduction des assurances, ponctions dans l’épargne privée. Et si ça ne marche pas, il faudra aller encore plus loin, radicaliser ces mesures et mettre la Grèce sous une tutelle bien plus invasive que celle qu’elle vient de refuser. Ils n’imaginent même pas que ça puisse aller à fins contraires et qu’on pourrait assister sous peu à une implosion économique doublée d’une explosion politique jetant dans les rues, dans une perspective révolutionnaire, tous ces Grecs qui n’auront plus rien à perdre.

Les fonctionnaires européens ne peuvent rien imaginer de semblable car ils n’abordent pas la situation dans une perspective politique. L’Union européenne n’est plus, comme elle le fut dans l’esprit des pères fondateurs, une alliance économique à but politique, une union entre Etats de même niveau économique visant à écarter le risque d’une troisième guerre mondiale.

Elle s’est dégradée en une mécanique administrative et financière au service principal de l’idéologie du marché libre. Un malheur supplémentaire veut que cette idéologie réputée «de droite» ait opéré sa jonction avec l’idéologie de l’internationalisme administratif propre au socialisme. Ces frères ennemis, tous deux égalitaires, placent l’un et l’autre l’économie à la source de la politique. Cela leur permet de parler d’une seule voix contre les nations et leurs frontières.

A leurs pressions, soit dit en passant, s’ajoutent celles des multinationales qui ne supportent plus les freins et les limites posés à leur puissance par les ordres internes des Etats, celles des producteurs, distributeurs et vendeurs de drogues, celles des trafiquants d’armes et de chair humaine, bref, les pressions de toute la canaille globalisée dont la suppression des frontières étatiques ne peut que favoriser les intérêts.

Comme toute idéologie, l’idéologie du marché libre est universaliste. Aussi les contours de l’Union européenne ne se limitent-ils pas à l’Europe. L’adjectif «européen» désigne la marque de fabrique de la mécanique, non le territoire qui a vu s’épanouir la civilisation occidentale. A terme, l’élargissement de l’Union européenne ne devrait connaître aucune limite. Preuve en est l’idée saugrenue d’y incorporer la Turquie musulmane.

La CECA en 1951, la CEE en 1957, l’Acte unique européen en 1986, Maastricht et l’Union européenne en 1992, la zone euro en 1999: la mécanique avance inexorablement, s’enflant et se ramifiant, serrant les Etats, acquérant sans cesse plus de puissance de décision et d’intervention. Elle accélère quand elle le peut, ralentit parfois. Il lui arrive même de se bloquer. Mais, comme le canon des Gascons, elle ne recule jamais.

Elle ne peut pas reculer, car, dans l’esprit de l’officialité européenne, la progression de l’Union est confondue avec le déroulement du temps. La marche de l’Histoire et celle de l’idéologie qui lui donne un sens sont un seul et même mouvement. Prétendre revenir en arrière serait vouloir remonter matériellement le temps, ce qui, comme chacun sait, est impossible.

La simple idée d’un référendum était en soi inacceptable. En novembre 2011, les pressions conjointes de l’Union européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne avaient réussi à dissuader M. Georges Papandreou de soumettre au peuple le référendum qu’il avait annoncé. Ce premier ministre était certes plus malléable que l’immaîtrisable gaucho-nationaliste Tsipras.

Une sortie de la Grèce de la zone euro, voire de l’Union elle-même lèserait gravement l’idéologie. Il faut urgemment combattre et réduire à néant cette réalité résiduelle contraire à l’esprit du temps, cette résistance nationale à laquelle M. Tsipras a explicitement fait appel.

On peut donc s’attendre à ce que l’Union européenne travaille ces prochains mois à s’approfondir, c’est-à-dire à renforcer son contrôle sur ses membres et à augmenter les compétences décisionnelles de ses organes, en particulier la Commission européenne.

Parallèlement, elle fera tout et plus pour éviter que la Grèce ne quitte le navire pour de bon, avec le risque de disloquer la mécanique. Elle lui donnera une dernière «dernière chance», sous forme d’une perfusion minimale qui conservera à sa misère un caractère vivable ou, disons, survivable.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: