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Borgeaud, prophète en son pays

Yves Guignard
La Nation n° 2022 10 juillet 2015

A la Fondation de l’Hermitage, la nouvelle exposition estivale est consacrée jusqu’au 25 octobre à un incontournable de la peinture vaudoise, Marius Borgeaud, l’homme de tous les contrastes, dans la vie comme dans l’œuvre. Vaudois de Paris, comme Vallotton, Steinlen et tant d’autres, il n’a pratiquement pas habité la Suisse et n’y revenait guère. Bourgeois de Pully, né en 1861 à Lausanne, ce citadin jusqu’au bout des ongles reste dans l’histoire de l’art comme un peintre très original des petits villages bretons. Ayant embrassé sur le tard la carrière artistique, il n’a peint à notre connaissance que 350 tableaux jusqu’à sa mort en 1924. Il aurait tout à fait pu rester un anonyme de la peinture, un bretonnisant connu uniquement dans quelques rares communes du Finistère ou du Morbihan; pourtant, avec talent et perspicacité, il a su tirer son épingle du jeu. Alors que la Bretagne était prise d’assaut par des cohortes de peintres, il l’a rendue comme nul autre, sachant éviter les clichés. Alors que le début du siècle voit la naissance de toutes les avant-gardes, il a su forcer l’admiration des critiques, être un classique, un moderne, un primitif, tout à la fois. Mais qui se cache donc derrière tant de charme paradoxal?

L’enfant prodigue tout pardonné

Les mythes ont la vie dure. Marius Borgeaud a priori n’a pas fait le tour du Mont-Blanc en calèche, ni fait sauter la banque de Monte Carlo, ni possédé un harem en Egypte. Lorsqu’il faisait des festins bohèmes à Montmartre, les assiettes ne volaient pas par la fenêtre, ou peut-être que si. A vrai dire, on ne sait pas. Il n’y a pas d’éléments pour corroborer ces légendes tenaces, on sait juste que notre Vaudois de bonne famille a hérité d’une petite fortune à la fin du XIXe  siècle et qu’il a tout flambé en l’espace de quelques années, qu’il a fini en cure de désintoxication et sous tutelle à l’aube du siècle dernier. Cela fait dire au commissaire de l’exposition Philippe Kaenel, un peu cyniquement mais avec tendresse: «socialement, c’était un déclassé, un vieux raté!»

Est-ce qu’on apprécie tant l’artiste parce qu’il a eu ces manières de prince fantasque et inconscient, à l’extrême opposé du protestant qui épargne, du confédéré mesuré, du Vaudois timide? Au vernissage, le syndic Brélaz, dans son discours, abondait dans ce sens, trouvant pour ces raisons le personnage «bien sympathique».

Marius Borgeaud, c’est aussi par conséquent l’histoire d’un repentir, d’une rédemption. Car après les frasques, amende honorable fut faite! En effet, par la peinture, Marius se rachète une dignité. Lui qui était cigale, il devient fourmi et laborieusement construit son œuvre. «Je n’ai jamais été aussi heureux que depuis que je travaille pour gagner ma vie» confesse-t-il. A près de quarante ans, il est devenu peintre, son premier vrai métier.

Vertige de la perspective et jeu des sept erreurs

Deux salles sont consacrées à la formation impressionniste de Borgeaud; camelles permettent de se familiariser avec l’époque de sa formation, une communauté de style qui réunit Pissarro, Sisley et Picabia. Mais très vite Borgeaud devient le savant équilibriste des intérieurs qui le fera passer à la postérité; dès la troisième salle, tout est là: se déclinent des vues vertigineuses de pièces aux harmonies virtuoses et aplats subtils. L’horizon toujours très haut nous fait contempler les objets d’un point de vue élevé, d’où une certaines étrangeté, mais aussi un très grand dynamisme dans la géométrie des lignes de fuite. Rien n’est enfin plus ludique qu’une exposition Borgeaud, les sites peints étant peu nombreux, on se familiarise vite avec eux, une chambre, une salle de bistrot, une mairie, une pharmacie. Quelle surprise alors de constater que les murs n’ont pas la même couleur, que les tableaux aux murs changent de place ou de taille, que l’architecture varie légèrement. De nombreux objets ayant appartenu au peintre (table, chevalet, images d’Epinal) viennent compléter cette présentation comme pour donner des points de repère à retrouver dans les œuvres. L’adulte en sort apaisé et l’œil content, l’enfant (en lui) recréé; on ne peut que tirer bien bas notre chapeau à ce M. Borgeaud et recommander la visite de l’exposition à toutes les générations.

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