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Gaz vaudois: une poire pour la soif

Cédric Cossy
La Nation n° 2022 10 juillet 2015

Les ornithologues amateurs sillonnant la réserve naturelle des Grangettes connaissent l’existence, non loin de Noville, d’un derrick mystérieux, ceint d’un carré de palissades blanches. C’est ici que, depuis 2009, la société Petrosvibri, filiale du groupe Holdigaz, fore pour trouver du gaz naturel sous le lac Léman.

La technique n’est pas triviale: à partir d’un départ de forage vertical, on imprime une légère inclinaison à la tête de forage, qui va alors suivre une trajectoire courbe, jusqu’à ce que le puits devienne horizontal. De Noville, la tête de forage a ainsi atteint une zone au large de Chillon, à 3500 mètres de profondeur. La zone de grès explorée s’avère riche en tight gas, l’une des trois catégories non conventionnelles de gaz naturel. Les responsables du forage estiment les réserves ainsi découvertes à l’équivalent de 25 ans de la consommation helvétique. La ménagère suisse va-t-elle bientôt «cuire» au gaz vaudois?

Les effets politiques du réchauffement climatique et les problèmes liés à l’extraction de ce type de gaz viennent ternir quelque peu cette vision enthousiasmante: par principe, l’exploitation d’une source énergétique génératrice de CO2 est mal vue; les cas avérés de pollution liés à l’extraction de gaz de schiste sur le nouveau continent appellent aussi à une certaine prudence. La licence de forage exploratoire accordée à Pertosvibri il y a dix ans ne débouchera pas forcement sur une autorisation d’exploitation.

Sur le plan technique, l’exploitation de tight gas, comme celle du gaz de schiste, requiert une fracturation de la roche au moyen d’un liquide injecté sous haute pression. On utilise pour cela une suspension de sable et d’eau, stabilisée avec des additifs chimiques. Durant l’extraction du gaz libéré par cette fracturation, près des quatre cinquièmes du fluide de fracturation sont rétro-pompés à la surface. Le mauvais traitement de ces eaux souillées est à l’origine de pollutions graves des nappes phréatiques dans les alentours de certains puits de forage américains. Ajoutons que la même technique est utilisée dans le forage de puits géothermiques de grande profondeur, mais dans des dimensions plus limitées et avec des volumes de liquide de fracturation plus restreints.

L’autre risque technique est lié à la fracturation même de roches compactes. Transformer celles-ci en gravier dans le sous-sol engendre des faiblesses tectoniques pouvant conduire à des tremblements de terre de faible intensité. De tels événements se sont dernièrement produits à Bâle et à Saint-Gall lors de prospections géothermiques et ont provoqué l’arrêt des forages. Par contre, le risque de fracturation du plafond de la zone riche en gaz, pouvant conduire à une pollution par infiltration des couches phréatiques supérieures, semble peu probable dans le cas du Léman: il faudrait fracturer plus de trois kilomètres de roches entre la zone d’exploitation prévue et le fond du lac.

Sur le plan politique, la chasse aux émissions de CO2, mais surtout les taxes qui y sont liées, rend l’avenir du gaz naturel peu attractif. La politique énergétique 2050 du Conseil fédéral prévoit que ce combustible pourrait être utile pour assurer la production électrique entre l’arrêt des centrales nucléaires et l’avènement des sources de production vertes de substitution. Les besoins totaux en gaz de la Confédération ne devraient toutefois pas augmenter, la part utilisée pour la production électrique étant compensée par la réduction des besoins pour le chauffage, résultant de l’amélioration de l’isolation des bâtiments.

Reste à évaluer l’intérêt économique d’une exploitation de sources de gaz non conventionnelles sur le territoire confédéral: les techniques de fracturation, d’extraction, de séparation et d’épuration des eaux de fracturation semblent au point, mais sont onéreuses. En première approximation, le coût du gaz ainsi extrait de notre sous-sol sera un multiple du prix de revient du gaz importé de Russie ou d’Afrique du Nord via l’Italie. Tant que les importations resteront possibles, l’exploitation des réserves sub-lémaniques ne sera pas concurrentielle. Le gaz d’origine vaudoise doit donc être considéré comme une réserve latente à conserver pour un éventuel temps de crise sur le marché international. Pour l’heure, les autorités vaudoises n’ont aucun intérêt à freiner Petrosvibri dans la poursuite de ses forages exploratoires.

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