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La Feuille de Chêne ne jaunit pas

Jacques Perrin
La Nation n° 2187 5 novembre 2021

Comme chacun sait, Philippe Jaccottet est mort le 24 février à Grignan. Au moment d’accepter la présidence d’honneur du Concours de poésie française La Feuille de Chêne, il nous avait mis en garde devant la difficulté d’imposer la pratique, dans une part des poèmes livrés, du vers régulier et de la rime, alors que, disait le poète disparu, la poésie vivante presque toujours s’en éloigne.

Le fondateur du Concours, M. Daniel Laufer, n’a pas transigé. Il a exigé des poètes en devenir le respect des contraintes classiques de la métrique. La Feuille de Chêne est parvenue à sa quatrième édition. Deux lauréats, Mme Viviane Aebi et M. Léonard Duteil se sont partagé le prix. En outre, M. Jean-Marc Huguenin a vu un de ses poèmes paraître dans la Feuille No 41. Tous trois se sont astreints à respecter les règles, prouvant par l’acte que rythme, régularité et rimes se concilient la poésie contemporaine.

Nos poètes viennent de toute la Suisse romande, parfois de ses confins: M. Duteil est de Carouge, M. Huguenin du Jura bernois et Mme Aebi de Dirlaret (Rechthalten) en Singine. Leurs parcours sont divers: M. Duteil n’a pas eu une existence facile; guitariste puis poète, il nous a invités à lire la Bible avant de goûter ses poèmes. Mme Aebi est enseignante au collège Sainte-Croix de Fribourg et mère de famille. M. Huguenin exerce la profession d’économiste; il nous a apporté des aiguilles de sapin blanc afin que nous les frottions pour en extraire un parfum d’agrumes.

Tous les trois ne nous réservent aucune envolée lyrique. Ils sont attentifs au concret, cernant les sensations et les perceptions les plus ordinaires, contemplant les objets les plus prosaïques: des gouttelettes d’eau, des arbres, l’azur, les nuances des saisons, voire une pistache au fond d’un pot, des étoiles de Noël, la boue, un évier en inox, une casserole pleine de lait, des mitaines, une cuisine. Le passé campagnard et le monde contemporain s’entrechoquent. On y fait boucherie, on récure une étable; un engin mécanique déblaie la neige, les voitures circulent, des routes urbaines sont en chantier.

Ces poèmes, comme tous les poèmes, se prêtent à la lecture à voix haute ou à être appris par cœur – la régularité des vers aidant – comme l’a démontré M. Laufer, récitant avec netteté et fermeté un poème de M. Duteil en début de séance.

Oui, la poésie vit encore, partout, notamment dans les cœurs de nos compatriotes.

Nous nous dispenserons de tout commentaire supplémentaire, d’autant plus que Mme Sylvie Jeanneret, membre du comité de lecture, se livre dans la Feuille No 4 à une étude aussi empathique que savante des poèmes de Mme Aebi, laquelle démontre comment il est possible, par l’attention portée au quotidien, de revivifier des formes poétiques contraignantes.

La Feuille de Chêne ne jaunira pas et ne s’étiolera pas de sitôt. Le comité de lecture reste en place, et M. Laufer, après des années de labeur couronné de succès, a trouvé son successeur en la personne de notre ami Yves Guignard, docteur ès lettres (en histoire de l’art), fin connaisseur de la peinture de par sa profession, et amateur très éclairé de musique, de littérature et de poésie.

Notes:

1  On peut se procurer la Feuille de Chêne No 4 en librairie, ainsi que Souvenirs du lointain, recueil de poèmes composés par M. Duteil sous le pseudonyme de Dulio et illustrés par Lova, paru en septembre 2021 (chez l’auteur, 20, route de Saint-Julien, 1227 Carouge-Genève).

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