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Stéréotypes

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1993 16 mai 2014

Un stéréotype est une généralisation censée définir un groupe ethnique, politique ou social. Le terme est connoté négativement: un stéréotype, c’est une idée toute faite, un préjugé simpliste, un fantasme.

C’est dans cette acception que les théoriciens du gender nomment «stéréotypes» les caractéristiques psychologiques et les rôles sociaux que la société attribue à l’homme et à la femme. Ils reconnaissent certes l’évidence des différences physiques, mais contestent leur interprétation morale et sociale couramment répandue, pour ce double motif qu’elle est à la fois trompeuse et obligatoire.

Ils refusent de qualifier de «naturelle» une construction sociale arbitraire qu’ils considèrent de surcroît comme un complot masculin, inconscient ou machiavélique, pour dominer les femmes.

D’ailleurs, la notion même de nature, en tant que cadre indépassable du développement humain, leur apparaît comme une menace pour la liberté individuelle.

Ils admettent le naturel pour autant qu’on le réduise au biologique. Et encore ne l’admettent-ils que comme on constate une fatalité.

Par bonheur, selon eux, les progrès des lois et des sciences nous soustraient peu à peu à cette fatalité. Avec le divorce facilité, le concubinat généralisé, le mariage entre personnes de même sexe, la reconnaissance officielle de la transsexualité comme sexe à part entière, la normalisation de l’avortement, d’un côté, et l’amniocentèse généralisée, la procréation médicalement assistée, la mère porteuse et le changement de sexe, de l’autre, l’être humain est en passe de dominer la nature. Un jour, tout sera culture.

Mais cette culture n’aura aucun contenu collectif propre. Elle n’existera que par sa capacité à englober, sans conditions ni jugement, toutes les «constructions» individuelles, toutes les identités sexuelles, toutes les forme de couples. En l’absence de nature, chacun fera sa propre culture dans son propre jardin! Le gender est l’avenir sexuel du multiculturalisme.

Les théoriciens du gender ont raison quand ils refusent d’identifier absolument la nature et la culture. Le donné transmis par la génération et le donné transmis par l’éducation n’ont pas le même niveau de réalité. Ils diffèrent l’un de l’autre comme le possible diffère de l’existant.

Mais ils ont tort quand, à l’inverse, ils séparent strictement la culture et la nature, réduite à l’organique. Cela revient à nier l’unité de la personne humaine, à nier que, dès les premières cellules, la vie et la matière interagissent. Dès la conception, l’âme imbibe le corps tout entier. Et le sexe, d’emblée, est plus qu’un fait biologique, plus qu’une particularité génitale: il manifeste la personne tout entière, ou bien femme, ou bien homme. La culture ne fait que donner une forme sociale à cette différence.

D’ailleurs, si la culture n’était qu’un ajout à la nature, à partir de quand commencerait- elle à s’ajouter? À la conception? Au moment où le fœtus perçoit les messages non verbaux de sa mère et du monde extérieur? À partir de la naissance? Des premiers jouets? De l’acquisition du langage? A chaque étape de la vie, et jusqu’à l’extrême vieillesse, il y a chez l’homme une interpénétration inextricable de nature et de culture.

La relation entre la nature et la culture n’est ni une identité totale, ni une séparation.

Il faut la voir comme une continuité, comme une transformation graduelle de l’une en l’autre vécue par l’être en devenir. La nature, moins précise, moins déterminée que la culture, est faite de possibilités – et de limites – que la culture contribue à concrétiser … et qu’une autre culture concrétiserait différemment.

On remarquera que, sous la forme particulière que lui donne telle culture, la nature ne disparaît pas. Elle s’incarne. On dit d’une personne qui se conforme spontanément aux usages qu’elle est naturelle: le naturel est le comble de la culture assimilée et librement vécue. La nature est la culture en puissance – ou plus exactement les cultures en puissance. Chaque culture est la nature en acte.

Si différentes soient-elles, toutes les cultures, traditions et coutumes ont la même fonction essentielle: permettre à la communauté de se survivre à elle-même. C’est dans cette perspective que toutes les sociétés de tous les temps ont différencié les rôles de l’homme et de la femme d’abord en fonction de la reproduction: fécondité féminine à protéger, force masculine protectrice. La mise au premier plan de la famille, les règles successorales, le caractère hiérarchique de la famille, moyen et symbole de son unité, le droit qui la protège tant des menaces extérieures que des divisions internes, tout l’appareil social et légal concourt à assurer le renouvellement de la lignée et, à travers elle, celui de la communauté politique.

La différenciation sociale va jusqu’à réprimer voire nier les aspects féminins de l’homme et les aspects masculins de la femme: pour naturels qu’ils soient, ils brouillent la vision des rôles. On taille le genre comme on taille un arbre, pour qu’il donne mieux ce qu’il doit donner. C’est dans le même esprit que le divorce et l’adultère sont réprouvés, que la mère célibataire était mise au ban de la société et que son enfant était dit illégitime, que l’homosexualité est, ou était, dite contrenature.

Ces règles sociales étaient dures. Elles tranchaient dans le vif du particulier parce qu’elles faisaient passer l’intérêt vital des familles et de la société en premier. La satisfaction des désirs personnels ne venait qu’ensuite. Mais considérer ces règles a priori comme des machines de guerre destinées à assurer le pouvoir des hommes sur les femmes ou d’une classe sur une autre relève d’un procès d’intention un peu enfantin. C’est attribuer à l’homme une vision et une action stratégiques à long terme hors de ses capacités.

Il est vrai que la différenciation peut se caricaturer elle-même. C’est le mâle qui considère la pudeur, l’introspection, la poésie comme ridiculement indignes de sa virilité, c’est le «beauf», qui parle rude, rit gras et boit sec pour prouver qu’il en est, et surtout qu’il «en a». C’est la femme qui minaude et se contraint à la faiblesse et à la frivolité. C’est à bon droit qu’on parle ici de stéréotypes.

Il est vrai aussi que la société tend à accorder une valeur absolue, et donc excessive, aux distinctions qui la structurent. Il est bon de montrer le caractère hypocrite, ridicule et parfois inhumain que cette tendance jusqu’au-boutiste peut présenter. C’est le rôle de l’écrivain, du dramaturge, de l’humoriste, du caricaturiste, en un mot du moraliste. Mais, castigat ridendo mores, le travail du moraliste est de rectifier les mœurs, de montrer leurs limites, pas de les supprimer.

Chercher à éradiquer les distinctions sociales et les spécificités culturelles en tirant argument de leurs excès et de leurs dérives, c’est faire disparaître du même coup ce qu’elles ont de naturel et de nécessaire à la vie en société1. C’est rendre les hommes égoïstes, geignards, lâches face aux exigences de la vie familiale, les femmes amères, revendicatrices, soupçonneuses face aux hommes, les enfants indifférents à leurs parents.

Notes:

1 Lors d’une récente séance parlementaire en Grande-Bretagne, rapporte le site Boulevard Voltaire, personne ne s’est levé pour céder sa place à une ministre enceinte de sept mois: «Penser que parce qu’elle enceinte, elle ne peut plus se tenir sur ses deux jambes et se débrouiller seule est sexiste», a déclaré un proche.

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