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Eclairages sur l’histoire de Lavaux

Jean-François Cavin
La Nation n° 1993 16 mai 2014

Le passé de Lavaux a fait l’objet de nombreuses publications. En voici une nouvelle qui présente le double avantage d’être nourrie des exigences rigoureuses de la science historique et de rester d’un accès aisé, on peut même dire captivant et plaisant, pour le profane. La Mémoire de Lavaux1 rassemble les contributions de cinq historiens, sur la base des conférences qu’ils ont prononcées lors de cinq séances organisées, de 2010 à 2014, à l’initiative des Archives historiques de la commune de Cully, puis de Bourg-en-Lavaux.

M. Eric Vion, archéologue, s’intéresse aux structures territoriales, par quoi il faut entendre le réseau routier et les fortifications qui le jalonnaient depuis le moyen âge, ainsi que la formation des communes et l’histoire du paysage révélée par les lieux-dits. Comment expliquer l’emplacement de certaines tours, Bertholod et Marsens par exemple, qui semblent en position peu stratégique? Les fameuses «grandes paroisses» ont-elles vraiment joué un rôle politique important, ou serait-ce plutôt les confréries des villages, leurs subdivisions? Au XVe siècle, la pente plongeant vers le lac était-elle déjà pour l’essentiel un vignoble, ou peut-être surtout un coteau de châtaigneraies? Les sources historiques – parfois seulement des indices – ménagent quelques surprises.

Professeur à l’Université de Strasbourg et féru de l’histoire de Lutry, M. Jean-Pierre Bastian, directeur de la publication, reprend le thème de l’immigration aux XVe et XVIe siècles qu’il a traité magistralement dans son grand ouvrage paru à la BHV en 2012. Il présente l’essentiel de ses conclusions sur les trois vagues d’immigration: les maçons du val Divedro (au sud du Simplon), bienvenus dans une contrée décimée par la peste pour y rétablir murs et chemins; les paysans de montagne des hautes vallées du Faucigny savoyard à qui l’on confiait volontiers le soin de défricher les râpes de la bordure sud du Jorat; puis d’autres Savoyards, serfs ou affranchis de l’abbaye d’Aulps, qu’on accueillait moins volontiers car ils étaient démunis et guère compétents, la contrée s’étant d’ailleurs repeuplée.

M. Louis-Paul Perret, historien de Lutry et ancien bibliothécaire, évoque la difficile mise en place de l’école dans cette «grande commune». Les débuts furent malaisés, car les gens du lieu, attachés à la foi catholique, ne voyaient pas d’un bon œil le développement d’un enseignement inspiré par la Réforme. Les régents ne restaient pas longtemps: vingt-cinq de 1540 à 1650! L’organisation était fort changeante: de 1729 à 1765, on compte six «réformes structurelles», comme on dit aujourd’hui. On lit avec étonnement que les bambins étaient scolarisés dès quatre ans au XVIIe siècle, et même dès trois ans depuis 1729. Les figures de plusieurs régents sont esquissées avec pittoresque.

Mme Martine Ostorero, professeur associé à l’UNIL, est une spécialiste de la sorcellerie, thème auquel elle a déjà consacré plusieurs études. Ici, elle se demande notamment si Lavaux est une terre d’élection pour les sorciers, vu le nombre élevé de procès et d’exécutions dont on a la trace. Dans la région veveysanne, dix personnes au moins ont été condamnées au bûcher en mars et avril 1448! Et cela continue sous LL.EE. Puisqu’on dénombre une centaine de condamnations dans le bailliage de Vevey entre 1581 et 1620, et autant dans le bailliage de Lausanne comprenant les communes de Lavaux. Ces prétendus sorciers – qui n’étaient en général pas des marginaux, mais plutôt des gens établis, voire des notables – pactisaient-ils vraiment avec Satan ou étaient-ils victimes de calomnies dans cette contrée où les querelles de famille et de voisinage n’ont jamais été rares?

Lavaux monte jusqu’au Jorat, réputé être un repaire de brigands. C’est donc une étude sur ces mythiques malfaiteurs qui clôt le recueil. Elle est due à M. Lionel Dorthe, maître-assistant à l’UNIL, dont on a déjà lu un article sur le sujet dans la BHV en 2010. quelle déception pour les amis de ces brigands, présentés parfois comme de pauvres marginaux dignes de compassion, ou comme de sympathiques libertaires, ou comme des champions de la rébellion sociale: les brigands condamnés sont le plus souvent des gens qui ont une activité, une habitation, voire une famille, et qui volent et tuent, le plus classiquement du monde, par appât du gain. De simples malfrats. Et, pour que la légende s’écroule tout à fait, il ne semble pas qu’il y en ait beaucoup plus dans le Jorat qu’ailleurs…

Cet ouvrage intéressant et parfois amusant a sa place dans votre bibliothèque.

Notes:

1 La Mémoire de Lavaux, Territoire, population, éducation, société, éd. Cabédita, Bière, 2014, 136 p.

 

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