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Aventures argentines II

Cosette Benoit
La Nation n° 1993 16 mai 2014

Les mystères colorés du Nord-Ouest andin

Entre nos paupières alourdies de sommeil défile une région verdoyante et marécageuse, encore blanche du brouillard du petit matin. Nous sommes à plusieurs centaines de kilomètres de la gare routière de Buenos Aires – entrepôt verdâtre bordé de sinistres maisons en tôle ondulée qui s’entassent entre des flaques de boue et des déchets. Après quelques heures de sommeil supplémentaires, le paysage a changé, une fois de plus; nous longeons la cordillère des Andes en direction du nord, roulant dans de vastes étendues pierreuses, où les taillis, les cactus et les gerbes d’herbes sèches se disputent l’eau et les rares nutriments du terrain. Le Nord-ouest andin connaît des hivers doux sans précipitations, toute la végétation sèche au soleil d’hiver, habillant les collines d’un manteau aux reflets dorés. Nous nous félicitons de n’avoir pas parcouru en avion les mille cinq cents kilomètres qui séparent Buenos Aires de Salta. En effet, les trajets en car nous permettent d’apprécier la variété du paysage de ce pays tout en longueur qui a de nombreux visages à offrir au regard.

Salta est une jolie ville au charme colonial, ce n’est pas pour rien qu’on la surnomme Salta la Linda (Salta la Belle). Les façades décorées de frontons, colonnes, corniches et autres ornements, égaient les ruelles de leurs couleurs rouge, jaune, orange ou rose. Dans le centre, il y a trois églises colorées chargées de décorations qui les font ressembler à des pâtisseries ou au Kremlin. La nuit, un éclairage sophistiqué leur donne beaucoup de style.

Malgré son architecture d’inspiration européenne, Salta est aussi – et surtout – une ville au charme indigène. Fondée par des colons en 1582, elle est progressivement abandonnée, étant trop isolée du reste du pays. Les ethnies régionales vont alors la repeupler et y amener leur musique, leur gastronomie, leur artisanat, leurs légendes et leur style de vie. Ce mélange de cultures, propre à l’Argentine, est séduisant. Nous prenons plaisir à flâner le nez au vent dans les ruelles et à nous essayer, plus ou moins heureusement, aux curiosités gastronomiques du coin. Les empanadas salteñas, le jus d’orange frais, les humitas (spécialité de maïs), le filet de lama, le quinoa et la pomme de terre sous toutes ses formes sont un vrai régal! Tels des colons bienveillants de la Renaissance, nous découvrons avec une curiosité enjouée les habitants du coin. Leur constitution trapue, leurs traits d’Indiens, leur peau foncée et ridée par le climat rude de ces hautes contrées nous dépaysent agréablement. Les femmes indigènes sont particulièrement belles et les grands yeux noirs et humides des enfants nous font craquer.

Notre périple se poursuit plus au nord, dans les villages andins d’altitude. Le climat désertique nous joue des tours; la température est proche de zéro degré dès que le soleil se cache et elle peut atteindre une vingtaine de degrés aux heures chaudes de la journée. Il faut donc patiemment enlever et remettre des couches d’habits et se munir d’un sac à dos assez grand pour contenir pull, veste, écharpe, bonnet et gants, ainsi que crème solaire, lunettes de soleil et casquette. De fréquentes bourrasques soulèvent des nuages de fine poussière de minéraux. Dans les localités, un tracteur muni d’un réservoir d’eau arrose les pistes le matin, afin d’éviter que les véhicules ne soulèvent trop de poussière. Encore une particularité désertique!

Les journées sont courtes, car le soleil met du temps à apparaître à l’horizon et disparaît vite derrière les sommets élevés. Nous avons ainsi tout loisir de nous reposer le matin puisqu’il est inutile de partir en excursion dans la froide obscurité matinale. C’est le milieu de journée qui offre les plus belles couleurs, révélant les teintes variées des strates rocheuses des quebradas (littéralement «cassures»), particulièrement à Purmamarca où le Cerro de los Siete Colores (la Colline aux sept couleurs) présente toute une palette de tons différents. En direction de la frontière bolivienne, à 3350 mètres d’altitude, nous découvrons les Salinas Grandes. Il s’agit d’un lac salé, asséché, qui forme une vallée blanche de 525 km2, parfaitement plane et scintillante, sous le ciel d’azur. Dans toutes les directions, nous n’apercevons rien d’autre qu’une croûte de sel cristallisé, bordée de montagnes rouge vif. Ces contrastes sont saisissants!

Nous ne manquons pas de faire l’expérience marquante de la raréfaction de l’air. Tout effort physique devient plus pénible et nous essouffle rapidement. Si je n’avais pas été sous l’œil vigilant de ma co-baroudeuse, j’aurais peut-être mâché quelques feuilles de coca que vendent les indigènes du village d’Humahuaca. Plus sagement, nous entrons dans une échoppe pour acquérir un mate (calebasse qui sert de tasse) et une bombilla (paille en métal) afin de nous essayer à l’infusion amère argentine: yerba mate, connue pour ses vertus médicinales et stimulantes. Je m’efforcerai dès lors de me faire à la culture des locaux en refusant de sucrer mon maté pour le boire amargo (amer) comme les vrais Argentins de souche plutôt que comme la gringa que je suis.

En faisant le marché artisanal, nous croisons plusieurs dames âgées habillées de multiples couches de jupes et de châles, de pompons colorés, de rubans et de grands chapeaux. Elles ont l’air tout droit sorties d’un calendrier. Pourtant, les indigènes du lieu n’ont rien à voir avec les Indiens d’Amérique du Nord parqués dans des réserves pour le bonheur des touristes. Ils conservent ici véritablement leurs traditions, leur fierté et leur indépendance. L’inhospitalité des Andes austères, froides, éloignées de tout et peu fécondes a découragé les colons, et l’histoire locale nous apprend que les indigènes se sont farouchement défendus pour repousser l’envahisseur et garder leur territoire. Nous apprécions beaucoup les habitants des villages andins. Ils se montrent serviables et chaleureux, tout en étant discrets, jamais intrusifs ni insistants. Notre amour pour cette belle région ne tient pas qu’à ses paysages impressionnants et à sa gastronomie, mais avant tout à sa population dont l’affabilité et la chaleur humaine nous touchent.

Avant de nous envoler en direction de la Patagonie, nous descendons au sud de Salta, sur la route qui mène à Cafayate, par la Quebrada de los Conchas (conchas signifie coquilles). C’est un des endroits les plus marquants du pays. L’eau et le vent ont compacté le sable, le modelant en sculptures évocatrices ornées de fossiles. Suivant l’oxygénation, les minéraux ont pris diverses teintes, en fonction de la profondeur des strates sous l’eau. Il y a surtout du fer qui se décline sur tout un éventail de couleurs du vert sombre au rouge vif, et du plâtre dont le blanc offre un beau contraste avec les autres roches plus colorées. Quel paradis pour les photographes!

Cette partie du voyage nous fait regretter de n’avoir aucune connaissance en géologie. En effet, le paysage semble raconter une magnifique histoire d’événements climatiques majeurs, mais nous n’en connaissons pas l’alphabet pour pouvoir la lire. Nous nous contentons de nous remplir les yeux de couleurs, de formes et de contrastes énigmatiques et attendrons la retraite pour nous mettre à l’étude de la géologie.

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