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LEO, l’école de l’illusion

Jean-François Huguelet
La Nation n° 2000 5 septembre 2014

Contre-projet victorieux à l’initiative ECOLE2010, la loi vaudoise sur l’enseignement obligatoire (LEO) est entrée dans sa deuxième année d’application. Depuis la rentrée 2014, deux tiers des élèves du secondaire obligatoire sont soumis à cette nouvelle loi: les volées 9H et 10H (l’équivalent des anciennes 7e et 8e années obligatoires que vous connaissiez). Au niveau secondaire, l’ancien système scolaire était composé de trois filières aux enseignements distincts, selon les compétences démontrées par les élèves: la voie baccalauréat (VSB), qui préparait essentiellement aux formations académiques, la voie générale (VSG), qui préparait aux écoles de culture générale ou aux apprentissages à exigences scolaires élevées, et la voie à option (VSO), qui préparait à la majorité des apprentissages.

La VSO était décriée parce qu’elle recelait, forcément, une proportion non négligeable d’élèves qui n’étaient pas en harmonie avec l’activité scolaire et ses exigences, des élèves remuants, des chamailleurs, quoi! Ceux que nos grands-parents appelaient les cancres et qu’une ministre n’hésitait pas à qualifier ironiquement de «bobets» pour mieux discréditer cette filière de formation.

Toutefois, ces élèves en difficulté scolaire, que ce soit pour des raisons cognitives ou comportementales, ou les deux, étaient encadrés par des maîtres bien formés, de vrais instituteurs qui les accompagnaient avec compétence durant une grande partie de leurs cours hebdomadaires, les connaissaient bien, connaissaient leurs parents, leur contexte familial et pouvaient agir en amont pour les former au mieux de leurs possibilités.

La LEO dans le secondaire obligatoire

Dans leur génie intrinsèque, les hautes autorités du DFJC, dûment soutenues par une majorité du sérail politique vaudois, ont estimé que le meilleur moyen de résoudre le problème de la VSO était de l’éliminer. Si on ne le voit plus, c’est que le problème n’existe plus, une recette simple qui a déjà fait ses preuves à plusieurs reprises par le passé (suppression de l’école primaire, suppression temporaire des notes, suppression de la dictée,…). C’est ainsi que les «David Copperfield» de la pédagogie ont, une fois de plus, réussi à bluffer le bon public vaudois, dont les élus de la gauche et du centre-droite: abracadabra, VSO disparue, problèmes envolés!

Les élèves de l’ancienne VSO ont été intégrés avec ceux de VSG dans une nouvelle entité appelée VG (voie générale). Les cours d’allemand, de français et de mathématiques ont été organisés en deux niveaux: le niveau 1 pour tous les élèves qui n’arrivent pas à atteindre le seuil de suffisance dans la branche, le niveau 2 pour tous les élèves qui atteignent ou dépassent ce seuil.

L’effet était parfait, mais comme dans tous les tours de passe-passe, le truc finit par se savoir et l’enchantement de l’illusion cède la place à la déception de la réalité.

Les dessous de la grande escroquerie

Les «bobets des bobets», pour reprendre la terminologie chère au DFJC, ont trouvé leur voie avec le niveau 1-1-1 de la VG (classes cent-onze pour les initiés). Les élèves qui ne fréquentent pas le niveau 2-2-2, eux, ne goûteront probablement pas (ou très difficilement) aux joies de l’école de culture générale. Et cette inégalité tant décriée ne tardera pas à reprendre ses droits, non pas qu’elle soit souhaitable, mais simplement parce qu’elle existe dans les faits et qu’un tour de magie ne peut l’éradiquer.

Mais l’illusion, pour abstraite qu’elle soit, a entraîné des victimes bien réelles: faute d’un maître principal fort (disparu dans la LEO) qui les connaissait si bien, les chamailleurs intégrés dans la nouvelle voie générale ont champ libre pour enquiquiner et démotiver le maximum d’élèves qui auraient eu envie de travailler.

Dans le Canton de Vaud, réforme scolaire après réforme scolaire, alimenté par les alibis de l’égalité des chances et de la lutte contre la reproduction des élites chère à Bourdieu, l’accroissement de l’hétérogénéité des classes a toujours servi prioritairement la médiocrité et la recherche de l’effort minimum, aussi loin que l’on puisse se souvenir de mémoire de vivant. La LEO ne fera pas exception à la règle et les employeurs des futurs apprentis vaudois peuvent réchauffer leurs ritournelles pour l’époque où les jeunes de la «génération LEO» entreront en apprentissage: «le niveau baisse, les élèves ne savent plus écrire, ils ne savent plus calculer, ils ne savent plus rien…».

A y réfléchir, ce nouveau palier de capitulation intellectuelle et culturelle que la LEO amorce s’inscrit aussi bien dans le climat de démission éducative que dans le reflux de la civilisation occidentale.

Sortir de la spirale, un jour, peut-être

C’est le vœu de très nombreux enseignants et formateurs en entreprises: qu’une nouvelle génération de politiciens et de décideurs pédagogiques aient la sagesse et surtout le courage de reconnaître que le concept d’égalité dans le domaine scolaire est une vaste escroquerie intellectuelle et politique, que l’égalité dans l’hétérogénéité ne peut s’obtenir qu’aux dépens de l’exigence et que chaque élève ne peut trouver de plaisir et de confiance dans l’activité scolaire que s’il peut y travailler dans la paix, avec des défis à la fois stimulants et surmontables pour lui-même, dans le cadre d’une offre pédagogique diversifiée et économiquement viable à long terme.

Cette «nouvelle classe politique» se tournerait alors tout naturellement vers un système à trois filières avec passerelles, beaucoup plus adapté à la structure de la formation post-obligatoire, infiniment supérieur, plus souple et moins compliqué que celui que nous propose la misérable LEO. Certes, il faudra attendre, car on sait à quel point les politiciens et les partis rechignent à reconnaître leurs erreurs.

Mais ce serait alors l’inversion tellement nécessaire de la spirale, un premier pas vers la fin de l’école de l’illusion, la fin de la LEO.

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