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Nation et nationalisme

Jean-François Pasche
La Nation n° 2000 5 septembre 2014

Le dictionnaire de l’Académie Française de 1694 définit ainsi le mot nation : «Tous les habitants d’un même Etat, d’un même pays, qui vivent sous les mêmes lois et usent du même langage». On trouve en gros la même définition dans le dictionnaire d’Antoine Furetière, édité en 1690. Dans cette acception du terme, la nation peut être un territoire géographiquement restreint doté d’un Etat propre, comme Genève ou Venise, ou une province d’un Etat plus grand, comme la Bretagne, faisant partie du royaume de France. Si le mot nation désigne une province, cela sous-entend que cette dernière revendique certains privilèges et une individualité; sous le régime monarchique, la Bretagne bénéficiait d’avantages fiscaux.

Pour l’Ancien Régime, parler de nations française, italienne ou allemande est incorrect; en effet, ces entités territoriales ne comportaient pas de politique commune. Ces grands pays n’existaient pas au sens où nous l’entendons aujourd’hui; l’exercice réel du pouvoir ne pouvait pas s’étendre à de telles étendues de terres. Au contraire, l’Italie et l’Allemagne, pour reprendre nos exemples, étaient fractionnées en de multiples Etats plus ou moins indépendants; les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne, ainsi que le roi de France, se disputaient la domination ou la possession des Etats d’Italie, alors que les Etats allemands étaient unis sous le Saint-Empire. Cependant, le degré d’influence des grandes familles princières sur tous ces petits Etats, autant de nations, était très variable. Dans le royaume de France, même si la centralisation était plus avancée qu’ailleurs, le roi n’avait pas l’autorité absolue que l’historiographie républicaine lui a accordée. En réalité, la monarchie française devait jouer avec un enchevêtrement d’institutions traditionnelles auxquelles elle a petit à petit juxtaposé de nouvelles institutions centralisatrices. Ce n’est qu’à la Révolution que le territoire de France a été rationalisé, auparavant composé de multiples entités n’ayant pas le même statut juridique.

Usages et langue sont le deuxième élément de définition de la nation d’Ancien régime. On peut dire qu’une nation se définit aussi par des coutumes, voire une culture, propres. Il ne s’agit pas de nier les grands courants intellectuels et artistiques qui traversaient toutes les frontières de l’Occident. Mais cet universalisme était réservé aux élites. L’identité du reste des populations se fondait sur des coutumes et un patois locaux. En résumé, la définition du dictionnaire de l’Académie Française nous apprend que les nations existaient bel et bien, qu’elles étaient géographiquement restreintes à des entités où les mêmes usages étaient admis et sur lesquelles un pouvoir exerçait réellement son autorité.

Le mot nationalisme a été inventé à la fin du XVIIIe siècle pour exprimer l’aspiration nationale d’un peuple. Ce nouveau peuple est défini par une idéologie de liberté, d’égalité et de fraternité commune à tous les individus qui le composent. Pour les révolutionnaires, le peuple français comprend tous les habitants de l’ancien royaume de France désireux de se défaire de la domination des élites de l’Ancien Régime et de construire une nouvelle nation. Durant le XIXe siècle, cet élan nationaliste gagne progressivement toute l’Europe. L’unification culturelle des nouveaux espaces nationaux devient un enjeu majeur. L’élaboration de mythes fondateurs et d’une historiographie nationale, visant à démontrer l’élaboration lente de la nation au cours des siècles, va dans ce sens. A cela, il faut ajouter l’uniformisation linguistique.

Ces quelques considérations permettent de montrer que la Suisse n’est pas vraiment une nation, ni au sens de l’Ancien Régime, ni au sens de la France ou de l’Allemagne. Il manque au moins à la Confédération une unité culturelle et linguistique pour être une nation. Les institutions politiques, il est vrai, sont semblables dans tous les cantons, mais elles permettent à chacun d’eux de garder une bonne autonomie par rapport à la Confédération, de maintenir des particularités et une identité propre.

En fait, les nations existent bel et bien en Suisse, mais à l’échelle cantonale. Ces nations correspondent à la définition de l’Ancien Régime et sont tout à fait dépourvues de la dimension idéologique apportée par la Révolution. Dans le cas du Canton de Vaud, nul besoin de créer un mythe fondateur et d’élaborer artificiellement une culture vaudoise, d’inventer une idéologie émancipatrice. Le canton de Vaud est une entité politique et culturelle cohérente. L’historiographie dispose aujourd’hui de tous les moyens nécessaires pour montrer que le pays de Vaud est une entité géopolitique réelle dès le XIIIe siècle grâce au duc Pierre II de Savoie.

Jusqu’en 1947, ce journal portait la mention Journal du nationalisme vaudois. Il faut comprendre ici un nationalisme géographiquement limité à une communauté politique traditionnelle, non exclusif, et avant tout réaliste. Toute personne se référant à la culture vaudoise, et aimant son pays d’origine ou d’adoption, selon qu’elle y est née où qu’elle s’y est installée après sa naissance et en a adopté les coutumes, fait partie de la nation. Le but de la politique n’est pas d’assurer la liberté ou l’égalité utopiques du peuple, la pureté d’une race, le pouvoir des travailleurs, ou tout autre idéal érigé en absolu, mais d’assurer le bien commun, réellement réalisable à petite échelle.

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