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L’accueil des étrangers

Jean-François Cavin
La Nation n° 2000 5 septembre 2014

L'attrait que notre pays exerce sur nombre d’étrangers, qui devrait nous réjouir puisque c’est le signe de notre réussite, plonge au contraire beaucoup de Suisses dans une double inquiétude. D’une part, ils craignent que la vague de l’immigration noie l’identité helvétique. D’autre part, ils redoutent la surpopulation de notre territoire relativement exigu.

Qui sommes-nous?

Commençons par le plus profond: l’âme du pays serait menacée. Mais qui sommes-nous? Les Confédérés parlent tessinois (un italien durci par l’air des Alpes), ou l’un des trois langages méridiono-septentrionaux qu’on groupe sous le nom de romanche, ou l’un des nombreux dialectes alémaniques, tantôt plus rauque, tantôt plus pointu, tantôt plus pâteux que les autres, ou encore le français avec l’accent et le vocabulaire de l’un des cantons romands. Ils mangent la longeole, ou le läckerli, ou la soupe à l’orge, ou la polenta, ou les roestis, ou la raclette, ou le papet. Ils sont catholiques, ou éconiens, ou réformés, ou évangéliques, ou mahométans, ou vaguement déistes, ou farouchement athées, ou, pour beaucoup, indifférents. Ils sont étatistes, ou libéraux, ou moitié-moitié, ou corporatistes, ou, pour beaucoup, indifférents.

Le tableau est infiniment plus varié et riche que le cliché du seul vrai Suisse né sur le Grütli, fréquentant les fêtes de lutte à la culotte et siégeant gravement le soir venu à la Gemeindeversammlung avant de boire une bière au Stammtisch du Gasthaus local. Cet helvétisme de carte postale est en tous cas bien éloigné du portrait des Vaudois.

Mais au fait, nous Vaudois, quelle est notre identité? En 1837, Juste Olivier discernait, au fond de notre tempérament, deux couches principales: la gallo-romaine, d’où provient notre réalisme, et la burgonde, d’où nous tenons notre rondeur. Puis d’autres traits se sont ajoutés, notre pays étant placé au confluent de toutes les nations vagabondes: […] le Suève, l’Alleman impudique, rapace et destructeur, le Goth chaste et fourbe, l’agile Hérule aux joues verdâtres, couleur de l’océan reculé d’où il est venu, le Hun rapide, cruel, difforme, aux yeux petits et sanglants. Tous ces passants belliqueux auront laissé ici quelques germes1. En 1972, dans ce journal, M. Regamey cite d’autres apports à notre sang: Le Canton de Vaud a assimilé beaucoup de Suisses allemands et s’en félicite. Il se réjouit de pouvoir assimiler aussi des immigrés latins, plus proches de son génie propre. Les Italiens et les Espagnols ajoutent à la douceur vaudoise un peu de vivacité et de grâce méridionale. A la deuxième génération, ils sont devenus d’excellents Vaudois, souvent déjà trop amortis. Et de conclure par le vœu que le patriotisme passe du refus de l’étranger à la volonté de vivre, qui est assimilation2. Notre politique ne doit pas viser à préserver une pureté ethnique imaginaire, mais à prolonger l’accueil par l’intégration. Et quand les arrivants sont nombreux, il y faut redoubler de soin.

Une immigration excessive?

Le problème, c’est justement la quantité, dira-t-on. Il est vrai que les chiffres impressionnent. En Suisse, un habitant sur quatre est étranger, frontaliers non compris; dans le Canton de Vaud, un sur trois. Il convient d’ailleurs de relativiser ces proportions: la grande majorité est au bénéfice d’un permis d’établissement, donc installée ici depuis cinq ans, dix ans ou davantage, souvent prête pour la naturalisation (encore insuffisamment pratiquée). Mais, dira-ton encore, l’effectif des étrangers est en forte croissance: en 2013, quelque 60 000 de plus pour la Suisse (+3.5%), 9 000 environ pour le Canton de Vaud (+3,8%). C’est le facteur principal de l’augmentation de la population, qui devrait atteindre, si le rythme actuel est maintenu durant vingt-cinq ans, dix millions d’âmes pour la Suisse, un million pour notre Canton (743 000 à fin 2013). Pourra-t-on loger tout ce monde? Oui, répondent les aménagistes de l’administration vaudoise, et cela dans les zones déjà constructibles aujourd’hui; on peut penser qu’il n’en va pas autrement dans l’ensemble de la Suisse. Ce qui est insuffisant, ce sont les infrastructures, trop longtemps négligées durant le long sommeil du conseiller fédéral Moritz Leuenberger et durant les magistratures de conseillers d’Etat vaudois écologistes, ennemis de la mobilité. En mettant maintenant les bouchées doubles, on fera face, pour la route, le rail, les hôpitaux, les écoles et les prisons.

Et l’asile?

La situation est encore compliquée du fait de l’asile. Non que les demandeurs soient très nombreux: quelques dizaines de milliers pour l’ensemble de la Suisse, effectif variable selon la conjoncture internationale; et ne parlons pas des réfugiés reconnus, un nombre infime. Mais les requérants, le plus souvent nullement persécutés à titre personnel, fuyant simplement la guerre ou la misère, sans lien professionnel ou social avec la Suisse, groupés en quelques lieux pour les besoins de l’hébergement et de la procédure, ont quelque chose d’inquiétant pour la population qui les côtoie.

L’asile, à l’origine, est un droit souverain de l’Etat d’accorder sa protection à qui lui semble bon. Il est presque devenu un droit de l’homme et, malgré des abus flagrants, on n’ose plus refouler des demandeurs sans avoir mené à leur terme de longues procédures. Il faudrait restaurer la conception classique, non pour fermer nos frontières, mais pour permettre le renvoi immédiat – sauf accueil provisoire à titre humanitaire – des faux réfugiés. On est certes loin d’aller dans ce sens; à tout le moins devrait-on accélérer les procédures et limiter les voies de recours.

Que faire?

Il ressort de tout cela que l’immigration sous ses diverses formes (on n’a pas parlé jusqu’ici des frontaliers, des courts séjours … et des clandestins) est une préoccupation importante; moins grave néanmoins, à nos yeux, que l’affaiblissement de la défense armée et le renforcement de la centralisation. Mais l’UDC en a fait son cheval de bataille, réussissant à inscrire dans la Constitution, de justesse et à sa propre surprise, le principe d’une limitation. Il faudra bien appliquer son texte, et loyalement; nous ne croyons pas à un nouveau scrutin sur un «paquet» comprenant des règles institutionnelles sur nos rapports avec l’Union européenne, qui tournerait à la débâcle. Comment s’y prendre?

Il est vexant pour les Vaudois, qui vivent assez bien avec une forte présence allogène, que leur politique d’immigration soit dictée par une majorité de cantons abritant peu d’étrangers. L’UDC, qui se veut gardienne des meilleurs principes de la vie publique helvétique, ignore pourtant largement le fédéralisme. C’est pourtant de ce côté qu’il faut chercher certains moyens de maîtriser le problème; c’est d’ailleurs au sein des cantons que l’assimilation s’opère. A cette fin, les cantons doivent avoir la compétence exclusive de fixer le nombre des frontaliers; les Tessinois, qui se lamentent de l’invasion quotidienne, la réguleront librement. Quant aux nouveaux permis annuels liés à un emploi, le contingent fédéral, seulement cadré pour que l’afflux n’augmente plus, doit être l’addition des nombres fixés par les cantons eux-mêmes, selon leurs besoins et selon leur faculté d’intégration.

Notes:

1 Juste Olivier, Le Canton de Vaud, Tome I, éd. 1938 (Zofingue)/1978 (CRV), pp. 179-180.

2 Marcel Regamey, «Lettre à M. Schwarzenbach», La Nation N° 901, 17 juillet 1972.

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