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Défendre le territoire, garantir la neutralité

Félicien Monnier
La Nation n° 2000 5 septembre 2014

En 1989, la débâcle de l’Union soviétique a fait croire à beaucoup que la fin de l’histoire était arrivée. La même année, le GSsA prenait sa première raclée, tout en faisant découvrir à un état-major-général abasourdi que le tiers des Suisses voulait l’abolition de l’armée. Pour nombre de parlementaires fédéraux, aidés d’une presse de plus en plus antimilitariste, ce fut l’occasion de lancer une «réforme d’envergure». La gigantesque Armée 61 devait dégraisser. Les effectifs fondirent. En vingt-cinq ans, au gré des réformes, ils chutèrent de 600 000 à 180 000. Et l’on ne parle pas du matériel ou du budget. Malgré les évolutions technologiques, celui-ci a stagné, alors que le ménage fédéral doublait. En une génération, une institution très solide a été profondément affaiblie.

La réforme DEVA (Développement de l’armée) étant sur le point d’être soumise aux Chambres, les questions militaires ne tarderont pas à réapparaître sur le devant de la scène. Revenons donc aux principes devant guider la politique fédérale en la matière et espérons voir un peu plus clair dans les difficultés actuelles. En politique, le premier principe est de ne pas désespérer. Ne peignons ainsi pas le diable sur le bunker. Entre Armée 61 et l’armée suisse d’aujourd’hui des progrès importants ont aussi été effectués. Le niveau d’instruction de la troupe s’est sensiblement amélioré. Le soldat suisse de 2014 est capable de remplir un éventail de missions bien plus large, et bien mieux, que durant la Guerre froide. Son aptitude au tir de combat est excellente. De manière générale, les niveaux tactiques et micro- tactiques de notre armée font l’admiration de nos voisins.

Quoi qu’il en soit, l’obligation de servir doit être au cœur de la réflexion sur l’armée suisse. Le 22 septembre 2013, le GSsA le PS et Les Verts ont été humiliés dans leur tentative d’abolir le service obligatoire. Le principe a été maintenu. La Ligue vaudoise a eu l’honneur de tenir le secrétariat du comité de campagne vaudois. Il convient toutefois de prendre garde.

Les réductions d’effectif ne doivent pas vider la milice de son sens. De l’avis de la Société suisse des officiers (SSO), la barre des 100 000 hommes est la limite inférieure maximale à ne pas franchir. C’est le seuil que se propose d’atteindre le DEVA.

Un autre danger pour l’obligation de servir est de rendre le service civil – pour autant que l’on s’accorde sur sa nécessité – équivalent au service militaire. Le militaire ne protège pas le même bien que le civiliste. Le premier est engagé en vue du maintien de la souveraineté. Autrement-dit, il assure la liberté de la communauté, il garantit les libertés politiques des citoyens. La mission du civiliste, si nous reconnaissons qu’il peut rendre des services importants, est d’un ordre politique inférieur. La libéralisation du service civil par le système de la preuve par l’acte est une négation de cette hiérarchie. La communauté est la même pour tous. Elle a garanti et continue de garantir à chacun les mêmes libertés. Il n’est pas équitable – au sens le plus antique et noble du terme – que certains échappent à l’obligation de service militaire qui, même en Suisse, peut mener jusqu’au sacrifice suprême.

Le second pilier de la politique de sécurité de la Confédération est la neutralité. Il faut la concevoir comme un moyen de l’indépendance. Elle est la promesse faite au monde qu’en cas de conflit, la Suisse n’ajoutera pas au désordre en s’alliant à l’une des parties, sans avoir été préalablement attaquée. Son territoire et sa politique ne doivent dès lors pas servir un belligérant plus qu’un autre. La neutralité exige donc une armée prête à défendre ce territoire en ultime moyen politique.

On le voit, l’actuelle crise ukrainienne permet à notre diplomatie de faire un exercice pratique en la matière. L’armée a également son rôle à y jouer. Nos forces aériennes doivent être capables d’assurer l’inviolabilité du ciel helvétique. Dans le cas éventuel d’un conflit régional, des avions de transports et autres drones demanderont probablement à traverser notre espace aérien. C’est à nous d’en interdire l’accès et d’assurer cette interdiction. Dans le cas contraire, c’est toute notre politique internationale qui serait décrédibilisée. Rattachée à l’une des parties au conflit, la Suisse perdrait une grande part de sa raison d’être dans le concert des nations.

Enfin, la question de la menace est toujours l’objet de propos déclamatoires: «Il faut la redéfinir!» nous rabâche-t-on. C’est peut-être vrai. Mais il faut oser admettre que la menace obéit à certains principes, en priorité celui affirmant que tout conflit finit par être territorial. La guerre cybernétique, réalité quotidienne, n’est qu’un accessoire parmi d’autres d’une politique de puissance. Le terrorisme, effrayant et horrible, ne représente généralement pas une menace de nature stratégique. Il ne met que rarement en cause l’existence de la communauté. Alors certes, la probabilité d’une guerre conventionnelle est plus faible que celle des inondations auxquelles l’Oberland bernois est accoutumé. Et il est heureux que l’armée soutienne les autorités civiles dans de telles circonstances. En revanche, l’invasion militaire est au sommet de l’échelle de la dangerosité.

Après tant d’années de paix prospère, se préparer au pire est difficile à proposer à la population. Notre aptitude à prévoir l’avenir est malheureusement très limitée; ce qui affaiblit sérieusement la très en vogue théorie de la montée en puissance. Qui avait prévu la crise ukrainienne? On y utilise de l’artillerie. Qui avait prévu le printemps arabe? Il dissémine des moyens antiaériens dans toute l’Europe. Qui avait prévu l’invasion de l’Irak par des djihadistes dont certains reviendront en Europe? Presque personne. Les rares ayant vu venir ces événements doivent rire bien jaune.

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