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Catholiques en Pays de Vaud

Philippe Gardaz
La Nation n° 2000 5 septembre 2014

Alors que La Nation fête sa 2000e édition, les catholiques du Canton célèbrent cette année le 200e anniversaire de la restauration du culte public catholique. C’est en effet depuis Pâques 1814 que la messe fut (à nouveau) célébrée, régulièrement et publiquement, à Lausanne, dans l’église Saint-Etienne à la Mercerie.

A l’époque, il y avait environ 3000 catholiques dans le Canton de Vaud. Plus de 2000 se trouvaient à l’entour d’Echallens où trois paroisses (Assens, Bottens, Echallens) de l’ancien bailliage commun à Berne et Fribourg n’avaient pas accepté la Réforme. Les autres catholiques du Canton étaient soit des notables étrangers résidant durablement chez nous avec leur domesticité, soit des ouvriers ou artisans récemment immigrés.

Cette communauté grandit constamment: 7000 en 1850, 18 000 en 1880, 51 000 en 1910, 75 000 en 1950, 116 000 en 1960. Elle constituait le tiers de la population vaudoise en 1970. Il s’agissait d’une part de Confédérés venant de cantons catholiques et, d’autre part, d’étrangers, Italiens et Français principalement, s’installant tous dans nos contrées pour y travailler.

Au plan officiel, cette minorité était régie par une loi de 1810 sur l’exercice de l’une des deux Religions dans une Commune où cette Religion n’est pas actuellement établie. En bref, la célébration du culte catholique était soumise à autorisation; le ministre du culte catholique était nommé par le gouvernement sur proposition (non impérative) des «préposés» catholiques qui supportaient tous les frais; aucune cérémonie ou procession ne pouvait avoir lieu en dehors du lieu de culte, qui ne comportait ni clocher, ni cloche, ni aucun signe distinctif. Malgré ce cadre strict, la communauté catholique a essaimé aux quatre coins du canton. Des paroisses furent fondées au XIXe siècle à Yverdon, Vevey, Nyon, Morges, Rolle, Aigle, Montreux, Moudon et Payerne.

Le lien unissant ces paroissiens entre eux était fort – les minoritaires se tiennent les coudes –, mais l’intégration à la vie du Canton était faible. On peut en voir un indice dans le fait qu’entre 1803 et 1994, il n’y eut qu’un seul conseiller d’Etat catholique, Nicolas Longchamp, citoyen de Bottens, qui siégea au Château entre 1805 et 1809.

Ce régime légal perdura jusqu’en 1970 en ce sens que les catholiques ont entièrement supporté les frais de leur culte. En 1945, les fondateurs du Parti chrétien social vaudois étaient décidés à promouvoir un statut plus équitable en faveur de cette minorité qui poursuivait sa croissance.

Pourquoi l’Etat de Vaud a-t-il tant attendu pour régler la «question des catholiques»? Le premier facteur pertinent est le caractère étranger de la communauté catholique vaudoise. Ses membres sont, à l’exception des Vaudois catholiques de toujours du district d’Echallens, des immigrés de plus ou moins fraîche date. Depuis une décennie environ, bon nombre des prêtres, qui autrefois étaient d’origine fribourgeoise, viennent d’Afrique ou de Pologne.

De plus, les autorités catholiques sont extérieures au Canton. Le Conseil d’Etat l’a bien souligné en 1955 dans son rapport au Grand Conseil sur les demandes présentées par les catholiques vaudois: Ainsi donc, si les membres des deux confessions bénéficient de par la Constitution des mêmes droits en tant que citoyens, la situation des Eglises est toute différente. L’une est régie par les lois vaudoises et ses autorités constituées sont vaudoises; l’autre est une institution dont les autorités locales suisses sont subordonnées à une autorité suprême, le Souverain Pontife à Rome (BGC, séance du 21 novembre 1955, p. 157).

En plus de l’extranéité des catholiques vaudois, l’Eglise catholique romaine n’est pas organisée de façon démocratique. Cette caractéristique est évidemment suspecte aux yeux du régime. Les Vaudois se méfient du pouvoir personnel en matière religieuse. Les notions d’évêque, de pape leur sont contraires, même si tel évêque ou tel pape leur plaît. Il règne en outre dans le Canton une crainte, non des catholiques comme personnes mais de l’institution catholique romaine, ressentie comme une puissance menaçante.

Un troisième facteur a joué un rôle certain. Pendant les années quarante et cinquante du siècle passé, la question religieuse importante pour les Vaudois était celle de la fusion des Eglises (réformées) nationale et libre. Réglée en 1965, cette question a partiellement occulté la question des relations avec les catholiques.

On comprend dès lors pourquoi les règles juridiques régissant le culte catholique et les prestations financières des pouvoirs publics en faveur des deux principales confessions chrétiennes n’ont été adaptées qu’en 1970. Dans plusieurs éditoriaux de La Nation, et bien avant 1970, M. Regamey avait montré l’opportunité de cette adaptation, en soulignant que, pour favoriser l’intégration du clergé, chaque prêtre devait recevoir son salaire directement de l’Etat et non par le canal d’une subvention globale allouée à l’Eglise catholique.

Le statut de 1970 n’impliquait aucune reconnaissance institutionnelle de l’Eglise catholique. Il assurait l’équité financière: l’Etat payant les pasteurs, il paya dès lors un nombre de prêtres proportionnel au rapport des populations protestante et catholique; pour leur part, les communes ont assumé les frais d’entretien et de personnel liés aux églises catholiques comme elles le faisaient déjà pour ceux des temples protestants. Cette loi de finance a rétabli l’équité matérielle, mais n’a pas sensiblement amélioré l’intégration des catholiques à la communauté vaudoise, car elle est survenue à un moment où l’individualisme augmentait et le rattachement à une communauté religieuse perdait son importance.

Lorsque Vaud a refait sa constitution cantonale, au début des années 2000, il est apparu souhaitable de mettre les deux principales confessions chrétiennes sur pied d’égalité… apparente. Selon la Constitution du 14 avril 2003, l’Eglise évangélique réformée et l’Eglise catholique romaine, telles qu’elles sont établies dan le Canton, sont reconnues comme institutions de droit public… (art. 170 al. 1).

Or, la formule telles qu’elles sont établies dans le Canton signifie pour l’Eglise catholique qu’elle n’est pas reconnue comme telle, mais au travers de son établissement vaudois, la Fédération des paroisses catholiques devenue la Fédération ecclésiastique catholique romaine du canton de Vaud. Ainsi, au moment où Vaud reconnaissait l’Eglise catholique, il ne la reconnaissait pas vraiment. Dans la mesure où, conformément au dogme démocratique, la reconnaissance est liée notamment au respect des principes démocratiques… (art. 172 al. 3), la reconnaissance pure et simple de l’Eglise catholique n’était pas envisageable. La Fédération joue donc un rôle déterminant: elle est l’interface obligatoire entre l’Etat et l’Eglise pour tout ce qui concerne celle-ci.

Malheureusement, la situation est aussi boiteuse au plan intraecclésial. L’Eglise catholique est organisée en diocèses qui sont les Eglises particulières dans lesquelles et par lesquelles elle vit. Pour Vaud, il s’agit du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, le Chablais étant toutefois rattaché au diocèse de Sion.

Dans le cadre du diocèse, les catholiques vaudois constituent la plus nombreuse des communautés cantonales: il y a plus de catholiques dans le Canton de Vaud que dans le Canton de Fribourg ou dans le Canton de Genève. Mais l’évêque diocésain réside à Fribourg. Il délègue à Lausanne, comme il le fait d’ailleurs à Genève, Fribourg ou Neuchâtel, un lieutenant, le vicaire épiscopal. Et, en fait, le diocèse fonctionne (et dysfonctionne!) comme une confédération d’«Eglises cantonales». Dans le Canton de Vaud, le vicaire épiscopal n’est cependant pas perçu comme le chef de l’Eglise locale. Cela empêche la communauté catholique vaudoise d’avoir la visibilité nécessaire pour inspirer à l’externe et à l’interne le sentiment d’une identité propre.

Les catholiques vaudois forment un grand groupe confessionnel, plus nombreux que les réformés. Ils bénéficient d’un appui matériel massif de l’Etat et d’une structure organique efficace, la Fédération ecclésiastique catholique romaine du Canton. Mais la gouvernance ecclésiale, notamment son partage entre évêque diocésain et vicaire local, n’est pas satisfaisante. Une réorganisation diocésaine, mettant fin à cette dichotomie, serait bénéfique à la fois pour le Canton et pour l’Eglise.

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