Objets perdus
C'est l’histoire d’un verbe transitif que les aléas du monde moderne ont soudain privé de son complément d’objet direct.
De nos jours, nous assistons en effet à des réunions, des conférences ou des séminaires au terme desquels on nous invite à rester un moment pour échanger. Cela se passe généralement autour d’un verre, ce qui est très bien (surtout si le vin est vaudois et porte un label de qualité reconnu), mais pour échanger quoi, saperlipopette? Des banalités? Des regards complices? Des propos peu amènes? Des coups? Des microbes?
Un peu de tout, sans doute. On échange joyeusement comme on devise gaiement. Sauf qu’une rapide recherche dans les dictionnaires semble indiquer que l’usage intransitif du verbe échanger n’est pas admis par la langue française. Le serait-il qu’il n’en serait pas plus plaisant. Il dénote un style «branché et intellectualisant», selon l’expression pertinente de certains de ses détracteurs. Il donne l’impression que la phrase n’est pas terminée, que quelque chose nous manque: un objet direct. Un objet perdu.
Il existe pourtant un autre verbe pour désigner ces apéritifs papotatoires: réseauter, un néologisme que les correcteurs orthographiques des ordinateurs vieux de plus d’une année soulignent encore en rouge, mais qui s’est répandu dans les cercles professionnels aussi rapidement que l’Etat islamique dans le désert irakien. Réseauter exprime cette idée que les gens discutent afin de développer leur réseau de contacts, ce qui correspond finalement assez bien à la réalité: si quelques idéalistes persistent heureusement à échanger des points de vue, ce sont le plus souvent des cartes de visites qui constituent l’objet du verbe.
Nous n’aimons pas beaucoup les néologismes – comme tout ce qui commence par «néo». Mais à tout prendre, si nous estimons que la langue française ne nous offre pas de mot assez exact pour désigner une notion bien précise, mieux vaut alors inventer un nouveau mot plutôt que d’en détourner un qui existe déjà mais signifie autre chose.
Echangeons donc les verbes et la grammaire sera sauve.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Ces nations qui s’obstinent à exister – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Deux mille «Nation» pour une nation – Rédaction
- LEO, l’école de l’illusion – Jean-François Huguelet
- Le Tintébin – Daniel Laufer
- 1974 – Chronique vaudoise, Jean-Blaise Rochat
- Le meilleur système de santé du monde – Jean-François Luthi
- Nation et nationalisme – Jean-François Pasche
- L’accueil des étrangers – Jean-François Cavin
- Un discours du 1er août sifflé – Olivier Delacrétaz
- Défendre le territoire, garantir la neutralité – Félicien Monnier
- Les armoiries de la Renaissance vaudoise – Yves Gerhard
- Un paysan, ça sert à quoi? – Jean-Michel Henny
- Les risques de 1940 réévalués – Roberto Berhard
- Catholiques en Pays de Vaud – Philippe Gardaz
- Best-sellers auxquels on a échappé – Vincent Hort
- FATCA: les Etats-Unis, c’est ici! – Olivier Klunge
- Le Canton de Vaud, finalité de notre combat fédéraliste – Denis Ramelet