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Aventures argentines III

Cosette Benoit
La Nation n° 1999 8 août 2014

Une délicieuse mélancolie

Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse Blaise Cendrars Outre sa trépidante capitale et ses canyons colorés, l’Argentine compte aussi la Patagonie au nombre des incontournables curiosités que nous avons le privilège de découvrir. Nous commençons par rendre visite à l’imposante faune de la Péninsule de Valdès. Cette presqu’île s’étend au bout d’un isthme étroit bordé de deux golfes grouillant de cétacés. Profitant de ces eaux tranquilles, près de sept cents baleines franches australes viennent chaque année s’accoupler ou mettre bas, entre mai et décembre. En promenant notre regard sur la côte, nous nous apercevons vite que notre espoir de voir une baleine ne sera pas déçu! La surface plane de l’océan s’agite souvent à l’horizon, laissant entrevoir une nageoire, une queue ou une tête couverte de callosités.

Excitées comme des enfants qui font une chasse au trésor, nous tressaillons à chaque fois que nous distinguons un jet de vapeur ou une tache noire au large. Lorsque les baleines longent les plages avec leurs nouveau-nés, on peut les observer de très près. Quel spectacle que de contempler le plus grand des animaux à une petite dizaine de mètres (ou même plus près lors des expéditions en bateau), de deviner son immense masse sombre entre les vagues et surtout d’écouter ses longues respirations qui semblent exprimer le profond soupir du grand Bleu! Comme toujours, les paysages maritimes nous semblent à la fois familiers et étrangers. Ils évoquent les côtes connues, notamment celles de Hollande et de Bretagne que nous affectionnons particulièrement, par leur odeur humide, les traces de pas dans le sable mouillé, le vol des mouettes et des goélands, le bruit régulier des vagues, le ciel toujours changeant et cette étendue d’eau aux reflets multiples, qui s’étend à perte de vue. Toutefois, ils nous rappellent également que nous sommes au bout du monde, bien loin de nos campagnes suisses nichées à douze mille kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière océanique. La démesure des étendues sombres et ternes qui s’offrent à nos yeux, la froide morsure du vent et le silence de la nature sauvage sont l’amuse-bouche qui nous pousse à poursuivre notre périple plus avant en Patagonie. Ce sera seule puisque les obligations professionnelles rappellent ma co-équipière au pays.

La pampa patagone se prête admirablement aux rêveries solitaires lors des longs trajets sur les routes qui filent tout droit vers le Sud, le long de la côte atlantique.

Le temps suspend son vol, à l’image du soleil qui a arrêté sa course entre ciel et terre pour ne donner qu’une lumière timide, rasante, douce, froide et délavée.

Les nuages se prolongent à l’infini, en longues bandes duveteuses qui s’enfuient à l’horizon jusqu’au bout du monde. La terre a depuis longtemps cédé à la menace des rafales incessantes, elle ne produit plus ses fruits, sauf quelques gerbes d’herbe dorée et de petits arbustes ici et là. Les dos arrondis des moutons mérinos, les profils élégants des autruches (nandous nains) et les flammes rousses des nombreux troupeaux de guanacos (une sous-espèce de lamas) sont les seuls reliefs qui suppléent à la platitude du terrain.

Les animaux sont ici dans leur royaume, ils pullulent et personne ne vient troubler leur tranquillité. Ces braves créatures égaient les étendues esseulées de la Patagonie et me sortent de ma mélancolie persistante.

Au pied des Andes australes, qui se dressent comme un rempart entre les courbes dorées du terrain, l’ouest patagon se révèle spectaculaire. J’y découvre notamment le glacier Perito Moreno, dans la région d’El Calafate. Sous sa propre pression, la neige s’est compactée, formant une gigantesque langue de glace qui s’étend sur une trentaine de kilomètres, du pied des montagnes jusque sur le Lago argentino. Le glacier renvoie des reflets bleu turquoise très impressionnants.

Des passerelles permettent de faire face à la paroi glacée de soixante mètres de hauteur et d’en apprécier les effets, en particulier les détonations qui retentissent lorsqu’un pan de glace se rompt et va se fracasser dans l’eau du lac qui hurle dans les remous. La forêt environnante participe à l’ambiance magique du lieu avec ses arbres morts, brûlés par le froid. Dépourvus de feuillage et souvent de branchages, ils se dressent comme des colonnes argentées plus ou moins verticales, couvertes de longues barbes de lichen. Je n’aurais guère été surprise de voir surgir un cavalier noir de Tolkien dans la froide humidité de cette journée neigeuse et sombre.

Non loin de là, le massif du Fitz Roy est aux Andes argentines ce que le Cervin est à nos Alpes: un haut lieu de défi sportif pour les montagnards, une montagne emblématique grâce à son profil reconnaissable et un des paysages les plus beaux du pays. Cependant, la comparaison avec les Alpes suisses s’arrête là car les Andes australes sont bien plus sauvages.

Seuls les craquements de mes pas dans la neige fraîche troublent ma randonnée solitaire aux abords du massif. Il n’y a pas un seul signe de vie, sauf le vol majestueux de quelques condors. La nature est figée dans un imposant silence, pas une route à l’horizon, ni une cabane, ni même une ligne électrique; la nature toute nue, livrée à elle-même et aux exigences d’un climat qui ne laisse que peu de chance de survie aux animaux et à la végétation.

La Patagonie m’a rassasiée en moments de rêverie, de méditation, de contemplation émerveillée, de poésie et de douce mélancolie. Néanmoins, contrairement aux paysages hivernaux figés dans un demi-sommeil, ma vie fut aussi trépidante et remplie d’expériences quotidiennes amusantes et riches pendant ces deux semaines au sud de l’Argentine. Ma co-baroudeuse ayant retrouvé ses confortables appartements fribourgeois, j’ai opté pour des logements et des modes de transports moins coûteux et moins touristiques qui m’ont permis d’améliorer mon espagnol au gré des rencontres avec les locaux, de devenir plus débrouillarde et de recevoir mon véritable baptême de routarde.

L’exergue de Cendrars annonçait la tonalité mélancolique et descriptive de cette étape de mon périple, mais ne désespérez pas, quelques anecdotes cocasses vous attendent au prochain épisode…

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