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Le retour des hérésies

Lionel Hort
La Nation n° 1999 8 août 2014

Une idée répandue affirme que nous assistons à un «retour du religieux».

Après le triomphe momentané de la modernité, des Lumières et de la raison, il semblerait qu’à l’aube de l’ère postmoderne, la religion, Dieu et les spiritualités soient de retour et que celui-ci soit globalement reconnu sinon salué. Divers penseurs avaient pourtant statué de manière définitive sur la mort de Dieu, le désenchantement du monde et d’autres idées semblables.

Il faut bien reconnaître que pendant un certain temps le fait religieux a été largement méprisé ou occulté par les milieux du savoir académique et médiatique, situation encore d’actualité dans une bonne partie du monde universitaire de l’Occident.

Il semble en effet que l’on croit moins vigoureusement en Dieu lorsque l’on croit au progrès humain. Mais avec une remise en question toujours plus prononcée de ce fameux progrès et des idées illuministes qu’il sous-tend, différents groupes d’intérêts semblent avoir profité des brèches ouvertes dans la doxa rationaliste occidentale pour faire valoir leur «droit à la religion».

L’actualité donne bien des exemples de situations étranges impliquant le retour du religieux. Après l’interdiction des minarets pour la Suisse, on retrouve en France les problèmes liés à la montée statistique de l’Islam, bien entendu en rapport avec la question de l’immigration. Cette montée en puissance est récupérée entre autres à des fins économiques et politiques, et a suscité ces dernières années des affrontements entre penseurs athées mal à l’aise et catholiques traditionalistes. Les premiers, empêtrés dans leurs contradictions, devaient jouer par humanitarisme la carte de la tolérance religieuse envers les musulmans quand bien même ils la refusaient aux seconds, qui en profitaient pour redorer leur image. Car avec le thème de l’Islam comme celui du «mariage pour tous», les catholiques de France et leurs prêtres se sont à nouveau retrouvés, passagèrement mais régulièrement, sur le devant de la scène.

D’autres exemples peuvent être trouvés dans l’actualité, internationale cette fois. Toujours pour l’Islam, les avancées de l’EIIL1 en Irak sont suivies avec inquiétude par les chrétiens d’Orient, victimes, comme l’on sait, de toujours plus d’exactions de la part des mahométans.

Ailleurs, aux Etats-Unis, se déroule une bataille pour l’influence politique, voyant s’affronter des mouvements évangéliques en plein essor et l’Eglise de scientologie.

Celle-ci, issue de l’ancien milieu new age de la contre-culture américaine, est elle aussi en pleine progression. Et on pourrait encore évoquer les soubassements théologiques des conflits ethnico-territoriaux qui connaissent un regain d’intensité depuis quelque temps en Terre sainte.

Quand bien même une bonne partie de ces problématiques ne date pas d’hier, une nouveauté indéniable est qu’elles sont considérées par une portion toujours plus grande du monde universitaire et médiatique comme ayant trait à un domaine en soi, à part entière, au même titre qu’un fait purement écologique ou économique.

Auparavant, ces mêmes milieux avaient tendance à réduire les phénomènes spirituels à leurs possibles soubassements sociologiques et plus généralement matériels.

Au vu de l’importance majeure des milieux journalistiques et académiques dans la formation des représentations et de l’opinion des populations des pays occidentaux, leur reconnaissance progressive d’une autonomie propre au fait religieux dénote un important changement de considération.

Dans ce contexte, un endroit particulier attire l’attention des observateurs de tous bords: la Russie de Vladimir Poutine.

Un philosophe allemand, le sémillant Peter Sloterdijk, résume parfaitement la situation locale lorsqu’il écrit que «certains entrepreneurs néoreligieux remettraient volontiers en état, du jour au lendemain, les sites de production métaphysiques désaffectés, comme si l’on sortait d’une simple récession.»2 Ce constat s’applique particulièrement bien au vaste mouvement, avec soutien présidentiel, coordonné par l’Eglise orthodoxe moscovite et l’universitaire et géopoliticien russe Alexandre Douguine. Ce dernier, déjà très médiatique en Russie, fait aussi beaucoup parler de lui en Europe, cité maintes fois dans Philosophie Magazine, apparaissant dans un interview plus bas que terre mené par L’Hebdo, ou encore invité en France par Alain de Benoist ou Alain Soral. Grâce à lui, on trouve ainsi une curieuse version du christianisme en Russie, faite de pratique orthodoxe, de sentiment patriotique et messianique, et de fond philosophique gnostique lié au traditionalisme guénonien.

Cette volonté affichée se retrouve théorisée dans l’œuvre de Douguine, notamment son ouvrage programmatique, La Quatrième théorie politique3.

Quoi qu’il en soit, en Russie et ailleurs, on est loin d’un retour du religieux qui puisse avoir une influence positive et servir de modèle pour l’Europe, la Suisse et le Pays de Vaud. Il semble que ce n’est pas ce carnaval de nouveaux syncrétismes et de vieilles hérésies qui permettra, dans nos contrées chrétiennes, de proposer une autre voie au matérialisme et un renouveau de fond à notre Eglise. On est encore loin, comme au XIXe siècle à Genève et dans le Pays de Vaud, d’une période de réveil de la foi.

Notes:

1 L’Etat Islamique en Irak et au Levant.

2 Peter Sloterdijk, Tu dois changer ta vie, Libella, Paris, 2011, p. 13.

3 Alexandre Douguine, La Quatrième Théorie Politique, Ars Magna, Nantes, 2012, pp. 27- 28.

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